Le livre mystère : seconde partie

Suite de cet article qui faisait une note de lecture d’un ouvrage fort instructif qu’il s’agissait de deviner. La réponse est…

Écologie des villes, écologie des champs, paru aux éditions Fayard (coll. « le temps des sciences ») en 1993.

L’auteur : Claude Allègre.

À l’occasion de ma rencontre avec lui pour l’interview qu’il nous a accordée pour la Contre-COP22, Claude Allègre m’a prêté ce livre, dont la lecture avec 23 ans de retard m’a passionné. Ça m’embête de devoir lui rendre un de ces jours, je me console en pensant que ça me donnera l’occasion de lui en parler de vive voix. (Ce qui précède doit être compris comme un full disclaimer : ma lecture de ce livre ne s’est pas faite dans des conditions objectives – ce n’est pas la première fois, notez.)

Autant que l’auteur, la date de publication a de l’importance : 1993. On n’écrirait plus de cette manière, aujourd’hui. Il y a un véritable style de cette époque, qui rappelle Hubert Reeves dans L’Heure de s’enivrer ainsi que Christian de Duve dans Poussière de vie (deux ouvrages que j’ai révéré de nombreuses années avant de m’en distancier – surtout du premier). À cette époque, il était encore possible à des scientifiques bons vulgarisateurs d’aborder des sujets environnementaux sans oublier l’intérêt pour la science elle-même. La passion pour le savoir n’avait pas cédé la place au tirage systématique et permanent de signal d’alarme. Lorsqu’on parlait d’avenir, ce pouvait être sur le ton impatient de ceux qui se réjouissent par avance des connaissances que le futur nous réserve, et non pour exclusivement s’inquiéter de la difficulté qu’il y aura à éviter telle ou telle calamité.

Claude Allègre était donc certes déjà un peu engagé vers le climatosceptique en 1993. Son livre montre pourtant qu’il n’avait alors pas grand chose de l’« anti-écolo » que les médias ont ensuite fait de lui. Le militant au ton prudent du livre a cédé la place à un autre beaucoup plus direct, mais certaines de ses préoccupations sont restées les mêmes. Ainsi de la question de l’accès à l’eau potable, qu’il évoque en 1993 aussi bien que dans son fameux brûlot de 2010, L’Imposture climatique.

On peut sourire aujourd’hui à certaines affirmations comme celle du caractère « révolu » de la vision de la « croissance sans limite » (depuis 1993 le PIB mondial total a triplé ; par habitant, il a plus que doublé). Malgré tout, ce livre aujourd’hui épuisé ne se sort probablement pas plus mal de l’épreuve du temps que la plupart des ouvrages prospectifs analogues. Surtout, il est un joli témoin d’un temps qui semble bien lointain, d’un temps où l’on pouvait regarder l’avenir environnemental avec une inquiétude qui ne dépassait jamais la dose prescrite. D’un temps, aussi, où la beauté de la nature pouvait se montrer dans une émission à succès de TF1 sans pratiquer pas la culpabilisation permanente, émission présentée alors par un certain Nicolas Hulot qui a lui aussi bien changé depuis.

6 réflexions au sujet de « Le livre mystère : seconde partie »

  1. Quasi-contemporaines, d’un autre « scientifique bon vulgarisateur capable d’aborder des sujets environnementaux sans oublier l’intérêt pour la science elle-même », les 14 pages de préface prémonitoire d’Haroun Tazieff à « Ozone, un trou pour rien » (Alcuin), qui ont fait dire à l’économiste Rémy Prud’Homme en nov 2015 : « Texte bien écrit, bien pensé, argumenté, convaincant, et d’une incroyable actualité. Ecrit en 1992, il n’a pas pris une ride. Je regrette vivement de ne pas l’avoir connu, et donc pas utilisé, au début de l’année, lorsque j’écrivais sur le réchauffisme ».

    Dommage qu’en toile de fond subsiste la violente opposition entre Allègre et Tazieff sur la Soufrière en 1976. Un historien géologue pourrait probablement élucider les divergences et convergences personnelles ou scientifiques entre les deux hommes, qui se sont succédés à quelques années d’écart. Historique complet mais fastidieux sur http://www.ipgp.fr/~beaudu/soufriere/forum76.html, résumé sur http://www.liberation.fr/societe/1998/02/06/duel-au-dessous-de-la-soufriere_229081 (entre autres).

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  2. A propos de Nicolas Hulot, j’ai la collection complète des « USHUAÏA » en DVDs (57 épisodes — les 6 derniers n’étant pas sortis en DVDs, je les avais enregistrés).
    Avant de se radicaliser dans le réchauffisme, il avait réalisé (avec, toutefois, une empreinte carbone significative !) ces films très bien faits, instructifs, des images sublimes, des commentaires accrocheurs — il est, à mon avis, un très bon orateur –.
    Il abordait, dans ses documentaires, tout ce qui touche à l’environnement : animaux, botanique, paysages, climat…. Il rencontrait aussi les autochtones dont il partageait leur emploi du temps. Ceux-ci lui parlaient de leur mode de vie.
    Bref, de remarquables reportages !
    A part un épisode où il revient un peu trop souvent sur ce fameux réchauffement climatique, tous les autres sont conclus brièvement, mais de façon convaincante, sur la nécessité de protéger l’environnement, et, bien sûr, lutter contre le réchauffement climatique !
    Dommage que par la suite, il se soit fourvoyé dans cette stupide propagande.
    Du coup, il se ridiculise, même auprès d’un réchauffiste de ma connaissance qui considère que son militantisme ne sert même pas la cause qu’il défend !
    Climatiquement vôtre. JEAN

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  3. Bonsoir,
    le livre en question est disponible chez Amazon à des prix défiant toute concurrence si ça vous intéresse.

    Merci Mr Rittaud pour votre réflexion anti pensée unique bien rafraîchissante ! J’ai vraiment bien apprécié « La peur exponentielle » et vais bientôt entamer votre dernier livre.
    Bien à vous,
    L.

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