Il y a trop de médailles en natation !

Une excellente analyse de Yanarthus, qui compare de très convaincante façon les résultats des athlètes de natation et de course à pied avant de lancer un appel solennel au CIO qui, n’en doutons pas, aura autant d’effet que l’appel pour en finir avec les crimes climatiques.

Par Yanarthus

Les championnats du monde de natation et d’athlétisme viennent de se dérouler, respectivement du 24 juillet au 9 août au à Kazan et du 22 au 30 août à Pekin. Les compétitions de ces sports ont deux points communs importants : courses sur des distances communes et huit concurrents par course.

Les distances des courses olympiques dans ces deux sports sont :

  • Natation : 50 m, 100 m, 200 m, 400 m, 800 m, 1 500 m[1]
  • Athlétisme : 100 m, 200 m, 400 m, 800 m, 1 500 m, 5 000 m, 10 000 m[2]

Naturellement, il serait absurde de comparer directement les vitesses des compétiteurs sur les distances communes des courses dans ces deux sports. En revanche, il peut être intéressant de comparer l’évolution des vitesses quand la distance varie.

Nous avons donc calculé les vitesses moyennes du concurrent terminant troisième des finales sur chacune des distances dans ces deux compétitions. Ce choix du troisième permet d’exclure les « extraterrestres » aux performances hors-normes tout en étudiant le temps de compétiteurs « concernés » jusqu’au bout par la course pour obtenir une médaille (pour éviter les temps de concurrents distancés qui pourraient « lâcher » en fin de course).

Pour la natation, la première traversée de bassin (50 m) est différente des autres car son départ a lieu debout sur les plots de départ alors que les autres traversées commencent par un « virage » (demi-tour après appui sur le mur du bassin). Le premier 50 m est donc significativement plus rapide que tous les autres et les vitesses moyennes données par la suite seront celles calculées en l’excluant. Ce calcul est possible grâce à données fournies par le site officiel des championnats du monde (http://www.kazan2015.com/en).

En athlétisme, le départ constitue au contraire une période plus lente mais il n’y a pas moyen d’éliminer ce biais. On constatera plus loin son influence sur 100 et 200 m, on la supposera assez faible sur les distances plus longues.[3]

La vitesse beaucoup plus sensible à la distance en athlétisme qu’en natation

Le tableau 1 donne les vitesses moyennes v (premier 50 m exclu), exprimées en mètres par seconde, du troisième des courses finales des championnats du monde de natation 2015.

100 m 200 m 400 m 800 m 1 500 m
v (m/s) Femmes 1,808 1,699 1,630 1,599 1,581
Hommes 1,992 1,871 1,767 1,714 1,678

Tableau 1. Vitesses moyennes v du troisième des courses finales des championnats du monde de natation 2015 (premier 50 m exclu)

Les graphiques correspondants sont représentés figure 1.

Fig1NatAthle

Figure 1. Vitesses moyennes du troisième des courses finales des championnats du monde de natation 2015 (premier 50 m exclu) en fonction de la distance, courses féminines à gauche, courses masculines à droite

On constate que la vitesse du nageur diminue quand la longueur de la course augmente, ce qui constitue une évidence…

Un modèle simple consiste à considérer la vitesse v dépendant de la distance d de la course selon la formule (1) :

v = k/dα      (1)

k est une constante et a un exposant caractérisant la « dégradation » de la vitesse en fonction de la distance. Plus a est élevé, plus la vitesse dépend de la longueur de la course, a = 0 correspondant à une situation où la vitesse ne dépend pas de la distance.

En passant au logarithme néperien, la formule (2) est équivalente à (1) :

ln v = ln kln d               (2)

On peut donc tracer ln v en fonction de ln d, les graphes sont représentés figure 2.

Fig2NatAthle

Figure 2. Logarithmes néperiens des vitesses moyennes du troisième des courses finales des championnats du monde de natation 2015 (premier 50 m exclu) en fonction du logarithme néperien de la distance, courses féminines à gauche, courses masculines à droite

On constate donc que l’alignement des points est très approximatif, les formules (1) et (2) ne s’appliquent donc pas très bien. Néanmoins, si l’on veut absolument appliquer le modèle, une régression linéaire donne a = 0,048 pour les femmes et a = 0,064 pour les hommes.

Les mêmes calculs ont été effectués en athlétisme : le tableau 2 donne les vitesses moyennes v, exprimées en mètres par seconde, du troisième des courses finales des championnats du monde d’athlétisme 2015.

100 m 200 m 400 m 800 m 1 500 m 5 000 m 10 000 m
v

(m/s)

F. 9,208 9,103 8,002 6,769 6,016 5,655 5,254
H. 10,081 10,065 9,137 7,526 6,987 6,011 6,162

Tableau 2. Vitesses moyennes v du troisième des courses finales des championnats du monde d’athlétisme 2015 (F. = femmes, H. = hommes)

Les graphiques correspondants sont représentés figure 3.

Fig3NatAthle

Figure 3. Vitesses moyennes du troisième des courses finales des championnats du monde d’athlétisme 2015 en fonction de la distance, courses féminines à gauche, courses masculines à droite

L’évolution est la même, à une nuance près : les vitesses moyennes aux 100 et 200 m sont presque identiques car l’effet de fatigue et de gestion d’un effort plus long sur 200 m est compensé par le départ, période plus lente dont la part est plus importante pour un 100 m.

Les graphes présentant ln v en fonction de ln d sont représentés figure 4.

Fig4NatAthle

Figure 4. Logarithmes néperiens des vitesses moyennes du troisième des courses finales des championnats du monde d’athlétisme 2015 en fonction du logarithme néperien de la distance, courses féminines à gauche, courses masculines à droite

On retrouve évidemment les moyennes très proches sur 100 m et 200 m, puis des points à peu près alignés de 200 m (ln 200 ≈ 5,3) à 1 500 m (ln 1 500 ≈ 7,3) , les 5 000 m et 10 000 m étant finalement « plus rapides » que prévu par le modèle (1).

Les 5 000 m et 10 000 m des championnats du monde d’athlétisme sont souvent des « courses tactiques », courues à des rythmes nettement plus faibles que les meilleures performances des athlètes, les places se jouant en général lors d’accélérations brutales dans le dernier kilomètre. Cette particularité est telle que lors de ces championnats du monde, le 10 000 m masculin a été couru en moyenne plus vite que le 5 000 m, qui a été une course « très tactique » pendant environ 4 km (moyenne de 5,99 m/s pour cette portion) avant une violente accélération dans le dernier kilomètre (couru par le vainqueur à la vitesse moyenne de 7,18 m/s). L’étude sur les courses masculines a donc aussi été effectuée d’une part sur les actuels records du monde[4] et d’autre part sur les meilleures performances mondiales de l’année 2014 (figure 5) : les allures des courbes ne sont pas modifiées, avec des vitesses moyennes proches sur 100 m et 200 m, la formule (2) bien vérifiée entre 200 m et 1 500 m et des 5 000 m et 10 000 m plus rapides que prévu par le modèle (et dans les deux cas le 5 000 m plus rapide que le 10 000 m, ce qui est logique).

Fig5NatAthle

Figure 5. À gauche, logarithmes néperiens des vitesses moyennes des records du monde des courses masculines ; à droite, logarithmes néperiens des vitesses moyennes des meilleures performances mondiales des courses masculines au cours de l’année 2014

On constate donc que, sur des distances communes entre athlétisme et natation (du 200 m au 1 500 m), la formule (2) s’applique assez bien en athlétisme et une régression linéaire conduit à a = 0,21 pour les femmes et a = 0,19 pour les hommes.

Si l’on compare la natation et l’athlétisme, l’exposant a est donc beaucoup plus faible en natation qu’en athlétisme. Cela signifie que la vitesse dépend beaucoup moins de la distance en natation qu’en athlétisme. Ainsi, en course à pied, la vitesse moyenne sur 1 500 m est inférieure à celle sur 200 m de 34 % chez les femmes et 31 % chez les hommes alors que la perte entre les mêmes distances en nage libre n’est que de 7 % chez les femmes et 10 % chez les hommes.

L’inéquité de distribution des médailles aux Jeux Olympiques

On peut donc penser que les qualités pour être performant sur 200 m et 1 500 m sont proches en natation. Et c’est confirmé par les résultats de ces courses :

  • Dans les courses masculines des championnats du monde de natation 2015, le vainqueur[5] du 400 m et du 800 m est troisième du 200 m, il n’a pas participé à la finale du 1 500 m alors qu’il avait réalisé le troisième temps des qualifications et qu’il détient le record du monde sur cette distance.
  • Dans les courses féminines, la gagnante[6] est la même sur 200 m, 400 m, 800 m et 1 500 m !

Une telle situation est totalement impensable en athlétisme où les seuls « doublés » assez courants au niveau mondial sont 100 m – 200 m et 5 000 m – 10 000 m, mais où un quadruplé est impossible ! Lors des six compétitions mondiales depuis 2008 (Jeux Olympiques 2008 et 2012, Championnats du monde 2009, 2011, 2013, 2015), le doublé 100 m – 200 m a été réussi une fois chez les femmes[7] et cinq fois chez les hommes,[8] le doublé 5 000 m – 10 000 m a été réussi deux fois chez les femmes[9] et cinq fois chez les hommes.[10] Les autres doublés sont extrêmement rares : les derniers sur 200 m – 400 m remontent à 1996,[11] le dernier sur 800 m – 1 500 m à 2005[12] et sur 1 500 m – 5 000 m à 2007.[13]

Tant que les compétitions de natation et d’athlétisme sont séparées, cela ne pose pas de problème : chaque fédération internationale distribue ses récompenses comme elle l’entend. En revanche, on peut déplorer qu’aux Jeux Olympiques, où le décompte des médailles est souvent un enjeu sportif international, la natation donne trop de médailles par rapport à l’athlétisme. Non seulement la multiplication des types de nage (quatre) offre beaucoup de possibilités, mais en plus les différentes distances n’exigent pas de qualités fondamentalement différentes, ce sont donc les mêmes qui gagnent.[14]

Il n’est pas surprenant que ce soit un nageur[15] qui ait gagné le plus de médailles (22 dont 18 en or, en seulement trois olympiades !) aux Jeux Olympiques d’été. En 2008 (Pekin), sur les trois sportifs ayant obtenu le plus de médailles, deux étaient des nageurs ; en 2012 (Paris Londres) et 2004 (Athènes), ils étaient tous les trois nageurs. La limitation de victoires pour des nageurs doués provient moins de leur aptitude à gagner sur des distances différentes que de leur capacité à enchaîner des courses de très haut niveau en quelques jours voire quelques heures.

J’en appelle donc solennellement au Comité International Olympique de diminuer drastiquement le nombre de médailles allouées à la natation aux Jeux Olympiques en réduisant le nombre de courses dans ce sport : ne garder que les distances 100 m et 400 m en nage libre (et 10 km en eau libre), 100 m dans les autres nages (brasse, papillon, dos) et supprimer les courses à plusieurs nages. On passerait ainsi de 34 compétitions (102 médailles) à 14 (42 médailles). En guise de signal de bonne volonté, en athlétisme, on peut aussi envisager la disparition des 200 m et 5 000 m qui semblent un peu redondants des 100 m et 10 000 m mais l’athlétisme, dont les disciplines sont beaucoup plus variées, ne bénéficie pas du tout de la même enflure de médailles olympiques que la natation.

[1] Nous ne considérons que les courses en « nage libre » (à l’exclusion de la brasse, du papillon et du dos) et excluons de ces distances les « courses en eau libre », trop différentes de celles en bassin de 50 m étudiées ici car ne comportant pas les « virages » (demi-tour à chaque extrémité de bassin).

[2] Nous ne retenons évidemment que les courses sur plat et excluons le Marathon (42 195 m) qui se court sur route alors que les autres ont lieu sur piste.

[3] Cela paraît indiscutable sur les distances supérieures à 800 m où le temps de « mise en route » (de l’ordre de la seconde) est très faible par rapport à la durée de la course (quelques minutes).

[4] Même si de très lourds soupçons de dopage pèsent sur certains records du monde, féminins notamment, établis dans les années 80 et 90.

[5] Le chinois Yang Sun.

[6] L’américaine Katie Ledecky.

[7] Par la jamaïcaine Shelly-Ann Fraser en 2013.

[8] Par le jamaïcain Usain Bolt, qui a gagné toutes ces compétitions sur 200 m et dont la seule défaite sur 100 m a eu lieu en 2011… pour cause de faux-départ.

[9] Par l’éthiopienne Tirunesh Dibaba en 2008 et la kényane Vivian Cheruiyot en 2011.

[10] Par l’éthiopien Kenenisa Bekele en 2008 et 2009 et le britannique Mo Farah en 2012, 2013 et 2015.

[11] Par la française Marie-José Pérec et l’américain Michael Johnson.

[12] Par le bahreïnien Rashid Ramzi.

[13] Par l’américain Bernard Lagat.

[14] En langage Éducation Nationale, cela donne : « toutes ces épreuves évaluant les mêmes compétences, ce sont toujours les mêmes jeunes qui les réussissent ».

[15] L’américain Michael Phelps.

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