Comment s’écrivent les pages « Planète » du « Monde »

Un nouvel « épisode cévénol » — ces pluies brèves et intenses qui s’abattent parfois sur le sud-est de la France — s’est achevé lundi. C’est la quatrième fois qu’un tel événement de ce genre se produit dans la région depuis la fin de l’été. Faut-il blâmer les configurations astrales actuelles, comme le pensent certains ? Que nenni. Consulté sur la question, le professeur Nostradamus (université Paris-XV) nous le confirme : « rien ne permet de dire que l’entrée dans l’Ère du Verseau provoquera nécessairement des pluies abondantes. Ce qui est notable ici, c’est la concomitance des quatre événements. Je dirais qu’on a affaire ici à quelque chose qui ne se produit que tous les vingt ans. »

Des épisodes rapprochés dans le temps de tels événements météorologiques sont déjà vus dans le sud-est en 1995 et 2003. « Dans le Gard, des cas d’intensité voisine se sont produits en 1958, 1933 et 1907, tandis qu’à l’échelle régionale on peut mentionner les cas de 2010, 1995, 1996 et 1976 comme particulièrement intenses » ajoute le professeur Nostradamus.

La situation actuelle est causée par des facteurs astrologiques assez bien compris. De là à penser que la nouvelle ère astrologique qui est la nôtre serait à l’origine du phénomène, le pas est vite franchi. Cependant, « aucune preuve solide ne vient actuellement étayer cette hypothèse » estime le professeur Nostradamus. D’ailleurs, le nombre total de pluies cévénoles n’a pas connu d’évolution au cours du demi-siècle écoulé. « Il est actuellement très difficile de modéliser l’évolution prévisible de tels phénomènes, précise M. Nostradamus. Nous avons affaire à des événements ponctuels difficiles à analyser astrologiquement. Ces questions en sont au stade de la recherche. » De tout premiers résultats, ajoute M. Nostradamus, « semblent indiquer une légère augmentation dans l’avenir, mais tout cela est encore très fragile et doit être pris avec beaucoup de précaution. »

Déduire une tendance de fond d’événements ponctuels est toujours délicat, souvent impossible. Mais, dans certaines situations, une analyse astrologique permet de montrer qu’un événement très improbable dans une configuration céleste ordinaire peut devenir plus fréquent dans une configuration plus exceptionnelle.

De manière générale, si aucun lien n’est établi entre les événements récents et l’entrée dans l’ère du Verseau, les observations et la grande majorité des études astrologiques montrent que, dans cette nouvelle ère, des pluies plus intenses devraient se produire sous nos latitudes.

Ahem ! Ahem !

« Mais vous délirez ! s’étonnera le lecteur. Vous croyez sérieusement qu’il pleut à cause du transit de Saturne sur Vénus natal en Gémeaux ?

— Pas du tout, pourrait répondre l’auteur. N’est-il pas écrit noir sur blanc que non, rien ne permet de dire que les pluies sont plus fréquentes à cause des configurations astrales ? Z’avez vu, je suis pas naïf, au contraire… »

Et pourtant, il y a bien un problème. Lequel ? La longueur du texte, évidemment. Quand il n’y a rien de probant, il n’y a aucun raison d’en faire des tonnes. Voici un article qui remplacerait avantageusement l’étalage précédent :

Pour la quatrième fois depuis la fin de l’été, un épisode de fortes précipitations s’est produit. Certains ont cru bon de rapprocher ces événements des configurations astrales. Une telle observation n’a aucune signification scientifique ou statistique, et il faut dénoncer clairement tout discours alarmiste fondé sur ce rapprochement.

 Point final.

La seule manière d’expliquer pourquoi quelqu’un remplacerait ces quatre lignes par un texte aussi long que le précédent (l’article original ici pastiché est même deux fois plus long), c’est une défense hypocrite de l’astrologie. Notre pastiche met en scène la position d’un astrologue qui n’assume pas tout haut son point de vue, mais qui se délecte de proposer encore et encore l’éventualité d’un rapprochement entre météo et positions des planètes. Il n’a pas la jouissance de pouvoir répondre oui, du moins profite-t-il de la liberté qu’il a de continuer à poser sa question.

Pas des astrologues, les journalistes des pages « Planète » du Monde ? Alors lisez-donc le dernier article de Stéphane Foucart, qui s’étale sans retenue sur les récentes inondations dans le sud-est en posant encore et encore la question de leur lien éventuel avec le « réchauffement climatique », pour répondre non à chaque fois. Z’avez vu ? Je suis carbocentriste mais objectif, s’imagine-t-il sans doute nous dire. (Bien sûr, ne cherchez pas mention dans son article que la Terre ne se réchauffe plus depuis quinze ou vingt ans.)

Son article est aussi long que l’ensemble de ce billet (je n’en ai pastiché que quelques bouts). Il induit le même type d’effet que celui créé par notre texte initial : rien ne prouve que, mais tout de même, vu qu’on en parle, peut-être que quand même.

L’article neutre à écrire pour délivrer la même information que Le Monde ? Quatre lignes, comme dans le cas précédent. Cette fois, cela donne :

Pour la quatrième fois depuis la fin de l’été, des pluies dévastatrices se sont abattues sur le sud-est de la France. Certains ont cru bon de relier ces précipitations à l’évolution générale du climat. Comme le confirme un prévisionniste de Météo-France, il n’y a pas lieu de le faire, ces événements n’ayant rien d’exceptionnel.

À moins que Stéphane Foucart soit payé au mot, je ne vois aucun intérêt à faire significativement plus long. À moins, donc, qu’il s’agisse du procédé pas très reluisant ici suggéré. Il faut dire que « Le Monde » et le climat, c’est une histoire sans fin…

3 réflexions au sujet de « Comment s’écrivent les pages « Planète » du « Monde » »

  1. Bonjour Benoît,

    Excellent !

    J’ai par ailleurs été sidéré par le communiqué de météo-France, selon lequel, effectivement, le phénomène n’est pas exceptionnel … mais ils rajoutent « qu’avec le RC(A), ont devrait observer ce phénomène selon une fréquence plus grande dans le futur… »

    De mon point de vue, on n’insiste pas assez sur l’aménagement du territoire, et les responsabilités des aménageurs (les élus…) d’avoir (lorsqu’ils existent) réalisé des plans de prévention des risques s’appuyant sur l’analogie avec des séquences météo passées (crues centennales, etc.). Comme le disait Garnier, notre société est caractérisée par une plus grande vulnérabilité aux aléas météorologiques, et l’urbanisation mal pensée a conduit à imperméabiliser les sols et par conséquent à accélérer l’arrivée des eaux en aval.

    On peut remarquer que les assureurs en profitent pour justifier une possible hausse de leurs cotisation, justifiée par les révélations des devins du GIEC qui prédisent une augmentation de ces phénomènes… Et le gouvernement qui va certainement aussi s’appuyer sur cette manne catastrophiste pour justifier le sommet de 2015 à Paris.

    Triste époque !

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