Beaucoup de bruit pour rien (2/4) : L’Holocène et la stabilisation relative du climat

Suite de la série de Robert sur l’histoire du climat, inspiré du livre Sapiens et le Climat d’Olivier Postel-Vinay et complété de nombreux liens utiles. (Cliquer ici pour l’épisode précédent.)

par Robert Girouard.

Il y a environ 11 700 ans s’ouvre notre Holocène. Les températures se réchauffent en une génération, le Sahara reverdit, les lacs et les rivières se gonflent, les animaux pullulent… et l’humanité se remet à prospérer.

Et, comme lors du Bölling, c’est au Proche-Orient, plus précisément dans le Croissant fertile, que la civilisation va d’abord rebondir.  L’agriculture prend racine, l’élevage se développe en parallèle, les premières cités (Jericho, Çatal Höyük, etc.) voient le jour, tandis que les innovations culturelles telles que la roue, la charrue et la métallurgie se multiplient. 

Jusqu’à ce jour, le climat de l’Holocène s’est révélé « relativement » stable, bien qu’il ait oscillé entre périodes chaudes appelées « optima climatiques », généralement favorables pour Sapiens, et périodes froides ou sombres, généralement défavorables ; ces fluctuations de quelques degrés de la température moyenne de la Terre ont notamment été mises en évidence par les avancées et retraits des glaciers alpins.

L’optimum thermique de l’Holocène s’étire entre 9 000 et 5 000 ans avant le présent. Ce ne sera toutefois pas un long fleuve tranquille ; entre autres, la vidange du lac glaciaire Agassiz cause un violent refroidissement global sur plusieurs siècles, et ses répercussions se font sentir jusqu’au Proche-Orient, qui vit alors un petit âge glaciaire.  Face au froid et à la sécheresse, les survivants sont forcés à l’exil, notamment vers la Mésopotamie. 

Lorsque la civilisation sumérienne d’Ur atteint sa splendeur, une nouvelle crise climatique s’abat sur la Mésopotamie, la sécheresse atteignant des dimensions catastrophiques vers -4 200.  Des tribus de pasteurs venus des montagnes environnantes déferlent dans les vallées du Tigre et de l’Euphrate, contribuant au déclin de l’empire d’Akkad

Des analyses de proxys et des fouilles archéologiques ont fait ressortir que cette crise climatique a été résolument mondiale. C’est en effet à ce moment-là que s’effondrent plusieurs autres civilisations ou empires, tels l’ancien royaume d’Égypte et la civilisation de la vallée de l’Indus (Mohenjo-Daro, Harappa, etc.). En Chine, des changements climatiques concomitants ont raison de la culture de Liangzhu dans le delta du Yangtsé, entre autres. 

Environ un millénaire plus tard, d’autres civilisations de l’Âge du bronze qui s’étaient épanouies à la faveur d’un optimum climatique renouvelé sont frappées de plein fouet par un nouvel épisode de méga-sécheresse, accompagné de famines et de migrations. Il est question ici du nouvel empire d’Égypte, de la civilisation crétoise ou minoenne, de l’empire Hittite, des royaumes de Mycènes et d’Ougarit, pour ne nommer que ceux-là. En une cinquantaine d’années, tous s’écroulent, ainsi que les réseaux commerciaux qu’ils avaient établis. S’ensuivra une période de « siècles obscurs ». Les causes de cette débâcle civilisationnelle sont sans doute multiples — pensons aux invasions des Peuples de la mer —mais les changements climatiques ont assurément joué.  Cette période sombre, qui force Sapiens à s’adapter une fois de plus, marque par ailleurs le passage de l’Âge du bronze à l’Âge du fer, comme quoi le changement climatique adverse ne constitue pas nécessairement un frein au progrès.  

À partir de -250, un nouvel optimum, appelé « romain » ou « classique », crée des conditions propices à l’envol des grandes civilisations gréco-romaine et carthaginoise (absorbée plus tard par Rome), sur les cendres desquelles s’édifiera ultérieurement la civilisation occidentale. Il s’agit de la  période la plus chaude des deux derniers millénaires, et bien arrosée de surcroît. En – 218, Hannibal franchit les Alpes avec ses éléphants, un exploit qui serait impossible aujourd’hui. Le bassin de la Méditerranée est décrit comme un éden où il fait bon vivre, et les rendements agricoles élevés permettent notamment d’approvisionner Rome dont la population oisive dépassera le million.

(La semaine prochaine : De la chute de Rome au Petit Âge glaciaire.)

17 réflexions au sujet de « Beaucoup de bruit pour rien (2/4) : L’Holocène et la stabilisation relative du climat »

  1. « En – 218, Hannibal franchit les Alpes avec ses éléphants, un exploit qui serait impossible aujourd’hui. »

    Cela a été refait en 1959 par le britannique John Hoyte avec un éléphant du zoo de Turin. Son idée était de voir par quel col Hannibal avait pu passer.

    En fait, les éléphants n’ont jamais été le véritable problème d’Hannibal ; en effet, à leurs côtés, il y avait plus de 10 000 chevaux et mulets. L’exploit logistique résidait dans ce petit détail.
    Or, toutes les armées françaises allant faire la guerre en Italie comportaient peu ou prou le même nombre de chevaux et de mulets : François 1er, Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Bonaparte. Et ces armées sont passé à travers les cols des Alpes, quelques soient les conditions climatiques de leur époque.

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  2. Je sais bien que même pendant le PAG il y a eu des années sans neige,de même qu’il y a eu aussi de la neige dans les alpes à l’époque romaine! Mais ce qui était possible à l’optimum romain en décembre ne l’aurait pas été sous Louis XIII qui est passé en mars au début du dégel quand même ça fait une différence même s’il y avait de la neige,

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    • Décidément… Vous pourrez retrouver l’étude en question parue dans Nature en googlant le titre : Persistent warm Mediterranean surface waters during the Roman period G. Margaritelli et al.

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  3.  » Il s’agit de la période la plus chaude des deux derniers millénaires, et bien arrosée de surcroît. En – 218, Hannibal franchit les Alpes avec ses éléphants, un exploit qui serait impossible aujourd’hui. »

    Pour le bassin méditerranéen uniquement. et la méditerranée ce n’est pas la planète entière, l’auteur fait dans le sophisme.

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    • « Pour le bassin méditerranéen uniquement »

      Pour la même période, que s’est-il passé dans les autres régions du monde ?

      En effet, si vous dites « Pour le bassin méditerranéen uniquement », c’est que vous devez savoir ce qu’il s’est passé ailleurs.

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      • Le point important c’est de savoir si cette période a été plus chaude que celle que nous vivons même localement parlant (bassin méditerranéen). Pourriez vous me parler de la datation de la figure 2 de l’étude que vous avez citée ?

        Merci par avance pour votre réponse.

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      • « Le point important »… quel est donc ce point important ??
        Quand on observe les différents enseignement paléo-historiques, on constate que généralement les périodes dites froides sont associées à des périodes arides, et que les optimum sont des périodes humides !!
        Hors aujourd’hui on nous assène que nous sommes dans une période chaude et aride !?!
        Le point réellement important ne serait-il pas la perturbation exubérante que l’humanité inflige au cycle de l’eau ??
        Par une irrigation superfétatoire, les pompages profonds, l’abaissement des nappes, le drainage excessif, la surproduction de particules, et sûrement bien d’autres phénomènes non-encore identifiés ni même supputés ..?!?

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      • La sécheresse est souvent associée au froid, comme pendant les grandes glaciations. Mais des climats chauds peuvent aussi être secs.
        Le plus souvent, les périodes chaudes, y compris la nôtre, s’accompagnent d’une plus forte pluviosité. L’air chaud peut contenir plus d’humidité. C’est ce que je comprends.
        L’important à retenir pour la période romaine, à la fois chaude et humide, c’est qu’elle a profité à l’essor des civilisations du bassin de la Méditerranée de cette époque. Inversement, comme on le verra dans le prochain épisode…
        Par ailleurs, les problèmes d’approvisionnement en eau sont souvent causés par une surexploitation des nappes et des réservoirs, comme en Californie.
        N’oublions pas que les océans représentent plus de 71 % de la superficie de la Terre, alors je ne crois pas que les humains affectent tant le cycle de l’eau. Mais je ne suis pas un expert.

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