Minéraux critiques

Par MD

Introduction.
On sait que les nouvelles technologies énergétiques nécessitent l’extraction de matériaux naturels plus spécifiques et moins abondamment disponibles que les matières traditionnelles. Du fait de leur relative rareté et de leur caractère incontournable à court et moyen terme, on les qualifie de « critiques » (« critical »). L’agence internationale de l’énergie (IEA) a consacré plusieurs publications à ce thème. C’est notamment le cas d’un rapport de mai 2021 intitulé : « The role of critical minerals in clean energy transition » et de la base de données associée. Il a été mis à jour par l’IEA en mars 2022 sans modification notable. Ce long rapport mérite la lecture car il n’escamote aucun des aspects de la « transition » énergétique. On en donne ci-après quelques aperçus (le terme de « transition » énergétique recouvre un ensemble de concepts maintenant bien connus, il sera systématiquement mis entre guillemets pour éviter des ambigüités).

Champ d’observation.
L’IEA examine l’évolution de la demande en minéraux nécessaires à la « transition » énergétique. Il s’agit :
-soit de minéraux critiques dont l’utilisation est exclusivement ou très majoritairement destinée aux nouvelles technologies,
-soit de minéraux utilisés dans beaucoup d’autres domaines, mais dont la demande serait sensiblement augmentée du fait de ces nouvelles technologies.

En partant de l’année 2020, l’IEA évalue ces besoins à deux horizons, respectivement 2030 et 2040.

Hypothèses de travail.
L’IEA formule deux scénarios d’évolution de la demande liée à la « transition » :
STEPS (stated policies scenario) correspondant à ce que l’on sait des intentions actuelles des États quant à leurs politiques énergétiques et climatiques.
SDS (sustainable development scenario) correspondant aux politiques qui devraient être mises en œuvre pour satisfaire – censément – aux accords de Paris. Ce scénario est nettement plus consommateur de minéraux.
– quant au scénario dit NZE défini par l’IEA elle-même dans un autre rapport (contemporain) « NetZero by 2050 » il est à peine évoqué (voir article de juillet 2021 sur ses hypothèses souvent chimériques).

Principaux minéraux critiques.
Certains minéraux requièrent une attention particulière en raison des perspectives d’augmentations de la demande parfois spectaculaires estimées par l’IEA. Le tableau ci-dessous indique les quantités annuelles actuellement (en 2020) consacrées à la « transition », et celles réputées nécessaires en 2030 et 2040 selon les deux scénarios. On a aussi indiqué les secteurs dans lesquels sont et seront majoritairement utilisés ces minéraux.image001On voit immédiatement que les véhicules électriques sont très largement majoritaires dans ces exigences nouvelles, essentiellement du fait de leurs batteries (quant aux batteries de stockage fixes reliées aux réseaux, elles ne représentent que 2% à 5% des quantités indiquées).

Le graphique ci-dessous est une illustration des augmentations de production relativement à l’année 2020 prise comme base 1. Lecture : dans le scénario SDS, en 2040 la production annuelle de lithium devrait être 41 fois celle de 2020. ; celle de cobalt 21 fois.image002Le second graphique est une illustration des quantités en jeu. Lecture : dans le scénario SDS, en 2040 la production de lithium devrait atteindre 904 000 tonnes par an, contre 22 000 tonnes en 2020.

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Autres minéraux.
En plus de ces minéraux très spécifiques, la « transition » sollicite aussi des métaux utilisés en grandes quantités dans de nombreux autres domaines industriels. C’est notamment le cas du cuivre, de l’aluminium et du zinc. Le tableau et les graphiques qui suivent sont établis sur les mêmes modèles que précédemment. Pour le cuivre, on a distingué trois secteurs bien distincts d’utilisation dans les nouvelles technologies.

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Il est intéressant de comparer ces chiffres aux productions mondiales annuelles actuelles de ces trois métaux, toutes industries confondues (sources : diverses).
– cuivre : # 21 000 milliers de tonnes (kt/an) ; on voit que les nouvelles technologies, quel que soit le scénario, nécessitent des quantités supplémentaires non négligeables par rapport à la production générale totale : de l’ordre de la moitié en plus à terme.
– zinc : # 13 000 kt/an et aluminium : # 65 000 kt/an ; dans ces deux cas, les nouvelles technologies n’ajoutent qu’un appoint aux productions générales totales.

Principaux secteurs concernés par la « transition ».

Véhicules électriques. Comme on l’a vu, ce secteur est le consommateur presque exclusif de minéraux critiques et (à plus long terme) un consommateur significatif de cuivre. C’est pourquoi il justifie une attention spéciale. Il convient alors de recourir à une autre publication de l’IEA, qui diffuse chaque année l’état des lieux et les prévisions d’évolution des ventes de véhicules électriques neufs. Le dernier Global EV outlook date de mai 2022. Les prévisions sont (prudemment) limitées à l’année 2030, mais permettent déjà d’avoir une idée des évolutions envisagées par l’IEA. Les nombres de véhicules électriques neufs vendus annuellement sont représentés sur les deux graphiques ci-dessous. Précisons que ces chiffres comportent sans distinction les véhicules tout-électriques et les hybrides rechargeables (les prévisions sont fournies pour 2025 et 2030, elles ont ici été interpolées linéairement).
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Pour fixer les idées, la production totale mondiale en 2019 était de 92 millions de véhicules dont 65 millions de véhicules légers et 27 millions de véhicules lourds (source : Comité des constructeurs français d’automobiles CCFA) dont 2,2 millions d’électriques.
L’IEA évalue aussi le nombre nécessaire de bornes de recharge rapide sur la voie publique, sans compter les bornes de recharge lente et les bornes des particuliers et des sociétés. Pour atteindre les objectifs illustrés par le graphique ci-dessous, il faudrait mettre en service de 200 000 (STEPS) à 350 000 (SDS) bornes rapides par an entre 2020 et 2030.

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Réseaux. Pour satisfaire à la « transition », le réseau électrique devrait être renforcé, remplacé ou étendu. Ceci pour deux raisons principales :
– d’une part les exigences d’une économie supposée de plus en plus électrifiée, en particulier l’alimentation des bornes de recharge à haute puissance ;
– d’autre part le raccordement au réseau d’un nombre de plus en plus grand de sources de production intermittentes éoliennes et solaires dispersées et éloignées des lieux de consommation.

L’IEA estime qu’il faudrait en 2040 avoir augmenté ou renforcé le réseau d’environ 70 millions de km (STEPS) à 85 millions de km (SDS) supplémentaires, à comparer aux 75 millions de kilomètres actuels.
Le métal privilégié est actuellement le cuivre, mais il est envisageable de le remplacer partiellement par l’aluminium dans certains usages.

Matériaux critiques. Origines et productions.
Ce sujet a déjà été abordé dans un article récent inspiré du document statistique annuel de BP. Le tableau ci-dessous est destiné à donner quelques ordres de grandeur, en comparant les réserves prouvées aux productions cumulées. Les productions générales cumulées des années 1995 à 2021 et les réserves à fin 2021 sont fournies par BP. Les productions futures destinées à la « transition » sont estimées par l’IEA. Par contre, on ignore quelle sera l’évolution future des productions générales. Il ne faut pas additionner ces chiffres.

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On peut cependant constater visuellement que les réserves mondiales semblent théoriquement suffisantes pour le graphite et les terres rares, mais pourraient poser des problèmes à terme pour le lithium et surtout le cobalt.
Par ailleurs, comme on sait, les réserves principales actuellement connues sont détenues par un petit nombre de pays, ce qui peut poser des problèmes géopolitiques.
Enfin, l’extraction des minéraux critiques n’est pas sans conséquences dommageables pour certains des pays détenteurs et producteurs (droits de l’homme, conditions de travail, ressources en eau, pollution, etc). L’IEA consacre à ce sujet une part importante de son rapport sous le titre générique « Sustainable and responsible development of minerals » qui occupe à lui seul une soixantaine de pages.

Conclusions.
On a essayé de donner un aperçu des informations et surtout des chiffres principaux contenus dans le rapport de l’IEA, sans en trahir l’esprit. La littérature sur les matériaux critiques est abondante, comme le montre la longue liste des références fournie en annexe. Le rapport de l’IEA semble en constituer une synthèse exhaustive et actualisée. C’est pourquoi on n’a pas jugé utile de recourir à d’autres sources d’information, à l’exception des statistiques très récentes de la compagnie BP (déjà analysées sur ce fil).

Cela étant, le mot de la fin n’est pas écrit. D’autres gisements peuvent encore être découverts, d’autres technologies se développer, tel minéral se substituer à tel autre, le recyclage suppléer à la rareté, etc. De telles perspectives sont d’ailleurs évoquées dans le rapport de l’IEA. C’est pourquoi ces exercices basés sur des « scénarios » prévisionnels sont utiles mais pleins d’incertitudes.

Mais surtout, dans le domaine énergétique, les scénarios reposent sur des intentions collectives affichées ou présumées qui, comme on sait, n’engagent que ceux qui y croient. La ruée frénétique vers le tout-électrique décarboné « quoiqu’il en coûte » pourrait se fracasser sur le mur des réalités physiques et financières, ce qui est peut-être en train de se produire. Qui vivra verra.

11 réflexions au sujet de « Minéraux critiques »

  1. Au nom de l’environnement, on se prépare donc à détruire encore plus massivement l’environnement, avec une explosion de la production extractive nécessaire au passage vers le tout électrique. On pourrait se rassurer en se disant cela va créer de la richesse mondiale et donc participer à réduire la pauvreté globale mais en fait, non, puisque ce ne sont que quelques pays et multinationales qui vont profiter des revenus liés à l’explosion de la production extractive.
    Il faut également souligner le fait que les industries minières sont aussi des industries extractives d’énergies fossiles comme par exemple BHP Group ou la branche mines de Total.
    Eh oui, nos écolos vont enrichir les multinationales des fossiles qu’ils critiquent, en roulant à l’électrique, tout en bousillant encore plus l’environnement mondial, elle est pas belle la vie ?
    Enfin, tous ces minerais sont bien des ressources « fossiles » donc aux quantités finies mais comme elles ne rejettent pas du CO2 (juste des acides et des métaux lourds, bien plus nocif pour l’homme mais au diable donc), ça valait bien le coup de faire cette « transition » au nom de l’environnement, non ? Et attention, pour extraire ces masses gigantesques de minerais, cela ne va pas se faire avec des camions électriques roulant à l’énergie éolienne, mais bien avec des énergies fossiles. Cela tombe bien en fait puisque les industries minières sont aussi des industries d’énergie fossile.
    La boucle est bouclée. Il ne nous reste plus en plus qu’à les enrichir un peu plus en les subventionnant, au nom de l’environnement.

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    • Demandons conseil à la sardine ! Elle nous pondra sans doute un projet de chars électriques pour initier l’Europe de la défense, avec un menu végan pour ses fantassins, histoire de les maintenir de mauvaise humeur face à l’ennemi !

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      • Mais, cher Dominique, tu sembles oublier cette évidence : dans une monde écologique, un monde parfait donc, il n’y aura plus de guerre, c’est l’harmonie des humains entre eux et avec la nature ; la « symbiose écologique ». Alors les conseils de ta sardine sont un peu rétrogrades car dans cette harmonie écologique, on aura plus besoin de chars et on ne mangera même plus les plantes de la nature pour ne pas avoir à les tuer, (ce que font atrocement les végans tout en se donnant bonne conscience d’ailleurs). On produira en abondance celluloses et tissus musculaires dans les méga-fermes vertes de Google, sans plus jamais tuer d’êtres vivants.
        Les plantes ont une conscience, connaissent la peur devant leur destruction, le savais-tu ? Tu veux en discuter ?
        lol

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      • Tu as raison Cédric. Il me reste encore une longue route de déconstruction personnelle avant d’espérer habiter enfin le beau pays des bisounourses anti-militaristes et de la boboïtude verte dont curieusement nos amis allemands se détournent aujourd’hui. Merci pour ta bienveillance et tes propos éco-responsables. lol

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      • @Dominique Ah oui, plus sérieusement, sur le possible virage allemand vers la post-écologie, c’est ce que je constate également et j’en discutais avec Robert Girouard sur ce blog même. Espérons que sur ce point, ils vont redonner la raison à l’Europe.

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      • Je suis assez pessimiste sur la tournure des choses. Une guerre où l’énergie est l’arme principale se passe à nos portes. Et par suite les perspectives de black-out hivernal réjouis les adeptes de cette nouvelle religion, sans que ça n’émeuve personne. Faut-il attendre des soulèvements sociaux d’ampleur pour que les gens réalisent vraiment ce que ça signifie ? J’en ai peur. Enfin j’ai surtout peur pour mes enfants.

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      • Bonjour Dominique, tout à fait, les idéologues pseudo-verts et les néo-religieux climatiques pensent qu’ils ne seront pas affectés par les maux, que l’énergie est un truc de multinationale Cela étant dit, la presse commence par alerter, la boboterie verte carbocentriste et les ayatollahs du C02 devraient s’inquiéter https://www.contrepoints.org/2022/08/02/436156-ce-quun-crayon-peut-nous-apprendre-sur-lenergie-et-linflation . Merci. Bien à vous tous

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  2. Le Li-ion utilise de moins en moins de cobalt. Il est largement remplacé par le nickel, le manganèse et même le fer. On peut se demander si les auteurs du rapport ont bien pris en compte l’évolution de la technologie pour faire leur prévision

    Par ailleurs, il n’y a jamais eu de graphite naturel dans les éléments li-ion du commerce. Mentionner le graphite dans ce rapport ne semble donc pas pertinent.

    Enfin, c’est un avis, le risque de pénurie de lithium relève de la légende urbaine. Il suffit que le prix augmente pour que devienne rentable l’exploitation des granites (et roches apparentées) et la récupération du lithium des batteries usagées.

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      • Il faudra bien recycler les batteries. Le ‘jus’ de lavage sera plus concentré en lithium que la matière des salars d’où il provient (environ 0,1 %). Certes, là-bas, c’est le soleil qui fournit l’énergie mais nous aurons des éoliennes pour en disposer gratuitement…
        Bien entendu, la ‘rentabilité’ de l’opération dépendra du cours du carbonate de lithium…mais si on a besoin de lithium, son prix s’ajustera à sa disponibilité ou on lui trouvera un substitut. Je cherche depuis des années mais je n’ai pas encore trouvé d’exemple de pénurie durable d’une quelconque matière première (en dehors des périodes de guerre).

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