Coronavirus : la Chine à la loupe

Après avoir étudié les modèles exponentiel et logistique pour décrire l’épidémie de Covid-19, je pensais aujourd’hui me consacrer aux différents foyers. Il s’avère toutefois que le cas de la Chine mérite un traitement à part, parce qu’il s’agit de l’origine de la maladie (donc du pays pour lequel nous disposons du plus de données), et parce qu’il s’agit d’un très grand pays, sur lequel des données quotidiennes sont disponibles province par province. La population d’une province est en général de l’ordre de celle d’un pays européen (quelques dizaines de millions d’habitants), la trentaine de provinces offre donc un panorama assez complet.

Certes, on a aujourd’hui l’impression d’une maladie « mondiale » dont la Chine ne serait plus que le premier exemple. Cette impression est renforcée par cette carte de l’OMS, cas d’école de ce qu’il ne faut surtout pas faire en termes de représentation de données.

Sans vouloir jeter la pierre aux employés de l’OMS qui doivent sans doute faire pas mal de nuits blanches ces jours-ci, la relation entre taille des disques et nombre de cas est parfaitement fantaisiste, et conduit fautivement l’œil à croire en une dissémination plus ou moins uniforme répartie en Europe, au Moyen-Orient et en Asie. Et il ne faut guère compter sur les manchettes raccoleuses des journaux pour ramener les choses à leur juste proportion, quand on lit par exemple dans le Journalderéférence que la propagation « s’accélère » en France sur la base d’un troisième décès, celui d’une femme de 89 ans…

Pour mémoire, voici des disques dont la superficie est proportionnelle au nombre (minimal) de cas de la fourchette qu’ils représentent.

Pas facile, certes, de faire entrer tout ça sur une carte, toujours est-il que seule la Chine en est aujourd’hui au disque de droite, très loin devant tous les autres. Au 3 mars, elle compte à elle seule près de 80 000 malades, contre 8 500 pour l’ensemble du reste du monde. L’Europe en est à 2 200, c’est-à-dire que même en agglomérant tous les disques européens de la carte on n’atteindrait pas encore le plus gros.

Plutôt que de céder aux effets de manche, il est donc bon de s’attarder un peu sur le cas de la Chine avant d’en venir aux autres foyers.

Pour ceux qui, comme moi, sont peu au fait de la géographie administrative locale, voici pour commencer une carte des provinces de Chine. (Crédit : Ismoon.)

Comme on le sait, la très grosse majorité des cas recensés en Chine proviennent du seul Hubei, qui avec ses 66 000 cas représente plus de 80 % du total. Les données cumulées au fil des jours sont les suivantes :

Hormis le décrochage du 13 février (dû à un changement de méthodologie dans le recensement des cas), on voit ainsi se dessiner une courbe logistique, à laquelle on pourrait appliquer l’analyse d’hier.

Les provinces mitoyennes du Hubei sont (dans le sens horaire) le Henan, l’Anhui, le Jiangxi, le Hunan, Chongqing et le Shaanxi. Voici comment l’épidémie s’est déroulée jusqu’ici dans ces provinces.

Comme on le voit, le comportement logistique est très marqué partout. Dans toutes ces provinces, le nombre de cas n’évolue plus, ou plus guère. Il ne montre nulle part l’inflexion ascendante (heureusement légère) apparue dans le Hubei ces derniers jours. Il est donc raisonnable de considérer le nombre aujourd’hui atteint comme à peu près définitif. On peut ensuite rapporter le nombre total de cas au nombre d’habitants de chaque province.


PopulationNombre de cas
(au 3 mars)
Nombre de cas
par million d’habitants
Hubei60 280 00066 9071 109,9
Henan92 560 0001 27213,7
Anhui59 860 00099016,5
Jiangxi41 400 00093522,6
Hunan64 400 0001 01815,8
Chongqing28 846 00057620,0
Shanxi32 970 0001334,0

Le gros foyer qu’est la province de Hubei n’a donc guère essaimé dans les provinces voisines, qui sont toutes demeurées à des taux très faibles, de l’ordre de 20 cas par million d’habitants. On peut sans doute y voir, au moins pour une part, l’efficacité des mesures de confinement qui ont été prises.

Pour une vue plus globale, on peut reporter le nombre de cas par million d’habitants pour chacune des provinces chinoises. Le schéma général est particulièrement tranché : il y a le Hubei et le reste de la Chine.

Cette présentation me semble plus claire que celle d’un simple nombre de cas (comme le fait l’OMS, cf. leur morceau de carte ci-dessous) pour prendre la mesure de ce qui se passe.

Pour évaluer dans quelle mesure les valeurs ci-dessus sont susceptibles d’augmenter, qu’il nous suffise de regarder le nombre de nouveaux cas quotidiens en Chine hors Hubei. Aujourd’hui, il est à peu près nul.

Depuis le 22 février, il n’y a jamais plus de 28 cas nouveaux par jour dans ce pays de plus d’un milliard d’habitants. Ces jours derniers, on a affaire à des chiffres aussi bas que 4 ou 5. Seul le Hubei voit encore un nombre significatif de nouveaux malades chaque jour. Les données évoquent tout de même la queue d’une comète.

Ci-dessous un focus sur ces derniers jours. Il y a autour de 400 nouveaux cas quotidiens, avec une variabilité occasionnelle qui témoigne sans doute d’artefacts. (Je suppose que le 23 février était jour de congé.)

Alors que, comme déjà signalé, la courbe logistique n’est pas tout à fait parfaite sur ces derniers jours, on voit que seul le Hubei cause la légère hausse persistante. Le reste de la Chine, quand à lui, donne à voir une logistique quasi parfaite.

Nombre de milliers de cas en Chine (hors Hubei) au fil des jours de l’épidémie de Covid-19, du 22 janvier au 3 mars. En rouge : approximation logistique.

La suite demain, avec les autres foyers, notamment en Europe.

14 réflexions au sujet de « Coronavirus : la Chine à la loupe »

  1. Merci Benoît. Chacun de vos posts est une éclaircie au milieu du galimatia ambiant. Je suis occupé ces temps-ci à « décarboner » sur commande de notre administration et je vous assure que c’est pénible, mais surtout que cela épuise des ressources rares dans notre secteur d’activités…
    Publiez, continuez, courage !
    Bien amicalement.

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  2. S’agissant de la Chine, on se méfiera de tout ce qu’ils déclarent, en chiffres, dans tous les domaines ! Là-bas, on connait les chiffres de croissance de l’année échue le 1er janvier de la suivante, alors que les autres pays doivent attendre des mois pour connaître les leurs. Les dirigeants de régions risquent les camps, ou une balle dans la tête, si les chiffres ne correspondent pas aux attentes planifiées du comité central. Un défunt journaliste, sans illusions, du Figaro avait écrit un livre dont le titre ravalait cette lointaine contrée à son état d' »Empire de la poudre aux yeux »…

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  3. Cher Benoit comme toujours votre présentation est très didactique. Elle montre en particulier que l’utilisation de la puissance de données discrètes peut être tout à fait trompeuse. Je dis bien puissance puisque les données sont représentées proportionnellement au rayon d’un cercle mais ce que l’on voit, c’est la surface, c’est-à-dire une grandeur proportionnelle non au rayon, r, mais à son carré, r^2.

    Mais vous voyez où je veux en venir, la température, qui exprime dans les thermomètres (appareils qui mesurent la chaleur ou énergie cinétique, M*v^2) par la variation de volume, l’échange de chaleur entre un milieu particulaire (molécules) et un autre, est bien une mesure de puissance cubique puisque le degré est défini depuis le début du 19e siècle, comme le 1/100 du volume de dilatation entre glace fondante et eau bouillante (échelles de Celsius renversée et de Kelvin). Les autres échelles, Réaumur et Fahrenheit sont aussi linéaires. C’est le même type d’artefact que celui des surfaces représentant la progression « spectaculaire » des épidémies, évolution des nombres discrets de cas).

    Plusieurs expériences ont été mises au point pour représenter la relation T (température) vs énergie cinétique M*v^2, ou plutôt M*U^2 car si la première expression vaut pour chaque particule individuelle, ce n’est pas le carré de la moyenne des vitesses mais la moyenne des carrés des vitesses discrètes. Voir pour docs : Effet detrend https://tinyurl.com/truyfjl et retour sur courbe Hug https://tinyurl.com/y74fqfxo

    Une entité déterminante caractérisant la thermodynamique a été calculée par Boltzmann, c’est l’entropie S, dont la constante discrète, kB, porte son nom. Elle est souvent comprise comme « par molécule », mol^-1 ET PAR DEGRE, K^-1, ce qui est absurde. En effet, il ne peut y avoir de quantité discrète d’énergie que pour une entité discrète (N Avogadro par mole) et par pour une variable continue comme la quantité d’énergie cinétique.

    La théorie qui sous-tend la thermométrie est fausse, donc le zéro absolu déterminé avec la constante d’ENTROPIE de Boltzmann, et, en postulant une échelle linéaire pour Ec vs K, est absurde, Cette conception de la thermodynamique, c’est du pipeau.
    Qu’en pensent les climato réalistes puisque je ne reçois aucun commentaire intéressé.

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  4. Merci,
    Tout cela serait à comparer à la grippe espagnole qui a sévit de 1918 à 1919,et qui tua 50 million de personnes dans le monde et dont la propagation aurait été estimée à près de 30% de population infectée sur 15 jours (wiki source peu fiable)
    Une réelle recherche de comparaison pourrait indiquer dans quelle mesure le mot pandémie serait effectivement adapté à la situation actuelle du coronavirus ??

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  5. Bref, vous nous présentez 6 ou 7 fits, qui chacun dépendent des deux paramètres de l’équation logistique. Pourriez vous donner ces parametres dans un petit tableau afin de les les comparer?

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  6. Ah, la taille des « cercles », ou la « couleur » utilisée, ça rappelle bien des choses.
    par exemple la propagation de la radioactivité issue de l’accident de Fukushima-Daichi, où la « gradation » des couleurs était un léger décalage d’ocre à chaque changement d’échelle, lesquelles allaient, elles, de 1 à 1.000.000.
    Effet garanti !
    Vous recommande :
    https://gisanddata.maps.arcgis.com/apps/opsdashboard/index.html#/bda7594740fd40299423467b48e9ecf6

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