La panne programmée

par Rémy Prud’homme

Au cours de la semaine du 16 au 20 janvier 2017, qui a été froide, la demande d’électricité à été forte, et notre appareil de production d’électricité a peiné à y répondre. Aux heures de pointe du soir, manquaient plusieurs GWh. Heureusement, nous avons pu importer de l’électricité des pays voisins, et éviter ainsi des coupures de courants sélectives ou généralisées assez dramatiques. Il est facile de montrer que la politique de transition énergétique affichée nous conduit tout droit à ces grandes pannes en 2023, dans 6 ans.

Cette date est l’horizon du très officiel PPI (Programme Pluriannuel d’Investissement) énergétique. Ce plan prescrit une augmentation de 190% du parc photovoltaïque et de 130% du parc éolien. La loi de transition énergétique a par ailleurs édicté une diminution de 33% du parc nucléaire d’ici 2025, soit une diminution de 25% d’ici 2023. La question est de savoir si, en 2023, l’augmentation de la production d’électricité renouvelable décidée compensera la diminution d’électricité nucléaire voulue. En ce qui concerne les pointes de demande, la réponse est très clairement : non.

Considérons la pointe du jeudi 19 janvier, de 19 à 20h. La demande était de 93 GWh. La production nucléaire était de 56 GWh, la production de renouvelables de 3 GWh, celle les autres productions (hydraulique et thermique) de 31 GWh, soit au total de 90 GWh. Manquaient 3 GWh, qui ont été fournis par les importations.

Que deviennent ces chiffres pour une pointe comparable en janvier 2023 ? La demande reste de 93 GWh. La production d’électricité nucléaire est réduite de 25%, à 41 GWh. Celle de renouvelables est accrue de 130%, à 6 GWh. Celle des autres filières reste constante. Au total, la production est de 79 GWh. Manquent 14 GWh, qui ne peuvent certainement pas être importés : c’est la grande panne. Les 14 GWh de nucléaire en moins n’ont absolument pas été remplacés par les 3 ou 4 GWh d’électricité renouvelable en plus.

Ce résultat sans appel est-il biaisé par le choix de l’heure pour laquelle il a été calculé ? Les pointes de demande interviennent en hiver, généralement en début de soirée, de 19h à 20h, à des moments où le soleil est couché et la production d’électricité photovoltaïque égale à zéro. A ces heures-là, seul compte l’éolien. La production d’électricité éolienne (2,7 GWh) à l’heure considérée a-t-elle été anormalement basse ? Pas du tout. Pour les 576 heures des 24 premiers jours de janvier 2017 (qui constituent un échantillon significatif) la médiane des productions d’électricité éolienne s’établit à 1,9 GWh. Une heure sur deux, en janvier, l’éolien de toute la France produit moins d’électricité que le seul Fessenheim. Le calcul fait sur la base de 2,7 GWh ne surestime pas le déficit d’électricité, il le sous-estime.

En outre, le calcul présenté suppose que la production thermique (au gaz, mais aussi au charbon et au fioul) mobilisée ce jour là, à hauteur de 16 GWh, le sera également en 2023. C’est une hypothèse optimiste. La loi sur la transition énergétique prévoit explicitement la disparition, ou en tout cas une forte diminution, de ces filières. Si elle était mise en œuvre sur ce point, le manque à produire ne serait pas de 14 GWh, mais de 25 GWh ou davantage.

La « transition énergétique », vendue comme un gage de progrès et de croissance, est une chimère. Non seulement elle coûtera très cher, mais elle produira des pannes d’électricité. Comme dit Rousseau : « Ô douces illusions, ô chimères, dernières ressources des malheureux ! ah ! s’il se peut, tenez-nous lieu de réalité ».

Annexe

Tableau 1 – Production d’électricité aux pointes de demande, 2017 & 2023

 

  2017a 2023 (en GWh)

variation

Demande 93,1 93,1 0
Production :      
Nucléaire 55,5 41,4b -14,1
Renouvelables intermittentsc 2,7 6,2d +3,5
Autrese 31,5 31,5 0
Total 89,7 79,1 -10,6
Déficit -3,4 -14,0 -10,6

 

Source : RTE (Eco2mix et portail client/production)
Notes : a19 janvier, 19-20h. bchiffre de 2017 moins 25%. cEolien seulement. dChiffre de 2017 augmenté de 130%. edont : hydraulique (14,9), gaz (9,3) ; charbon (2,4), fioul (4,1), bioénergie (0,8)

10 réflexions au sujet de « La panne programmée »

  1. Le 28 septembre en Australie du Sud 1,7 millions de personnes se sont retrouvées sans électricité, payant le prix du développement des énergies intermittentes… Cela a déclenché une réflexion sur l’utilité, et surtout le coût de ces dernières. Il est par exemple apparu que les lignes de transmissions devraient supporter les pics liés à la variabilité de la puissance à transmettre: leur mise à niveau coûterait plusieurs millions de dollars par kilomètre. Mais le plus grave reste le fait que l’imprédictibilité des variations de la puissance du vent nécessite que les centrales de ‘backup’ tournent à régime soutenu en permanence, annulant quasi totalement la contribution des éoliennes. Cela explique qu’au Danemark et en Allemagne les usagers paient leur électricité deux fois: une pour finance les sources classiques qui doivent fournir autant de puissance qu’avant, une pour les éoliennes qui ne servent strictement à rien. Il est intéressant de noter que l’Allemagne est en train de construire 26 nouvelles centrales à charbon pour compenser la réduction de la source nucléaire…

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  2. Ce site étant avant tout dédié aux mathématiciens, je voudrais poser une question à toutes les bonnes volontés qui pourraient m’aider à trouver un début de réponse à la question suivante (pas de rapport étroit avec la rubrique de cette page, mais bon…). Je me suis moi-même pas mal intéressé aux systèmes dynamiques avant que mes cheveux commencent à virer vers le blanc, mais je dois avouer que j’ai depuis perdu pied.

    Comme le GIEC le définit au début de ses rapports, le système climatique est chaotique. La littérature indique –même si la science connait d’intéressant développement, voir par exemple L A Smith: Predictability and Chaos– que la prédictabilié décroit alors rapidement avec l’horizon. De ce fait il semble incongru de parler d’anticipation à dix ans et à fortiori à un siècle. Ci-dessous trois remarques par rapports auxquelles toute critique sera la bienvenue:

    1. Si le système climatique ne possède pas d’inertie (n’est pas temporellement auto-corrélé, etc.), il n’a ‘pas de mémoire’ comme le faisait remarquer Mandelbot aux chartistes dans le cas des marchés financiers, et il est complètement inutile d’analyser les tendances passées. Comment peur-on alors justifier l’investissement (pas seulement des escrocs de East Anglia et du Bureau of Meteorology australien qui ont trafiqué les donnés pour supporter leur thèses) effectué dans l’analyse des relevés terrestres, satellitaires, glaciaires et autres?

    2. A supposer que l’effet du forçage radiatif des gaz à effet de serre puisse être modélisé de manière séparable de la dynamique du système climatique ‘seul’ (excluant ceux-ci), et qu’on puisse dire par approximation que l’effet du forçage radiatif ’s’ajoute’ à la température qui prévaudrait ceteris paribus, n’est ce pas une escroquerie intellectuelle que de prétendre que l’on peut limiter la somme à ‘deux degrés’ quand l’un des deux termes est imprédictible?

    3. Et si cette hypothèse d’indépendance est acceptable, ne faudrait-il pas intégrer le fait qu’on a une chance sur deux de se tromper quant au signe de la correction de température désirée, puisque le système climatique ‘seul’ a autant de chances de se réchauffer que de se refroidir, et ce pour tout horizon (et échelle) considéré (ce qui veut dire qu’il faut faire un choix quant aux populations que l’on veut protéger du changement… une ‘bonne’ correction pour un horizon particulier peut être catastrophique pour un autre plus lointain)?

    Merci à tout citoyen éclairé de partager son savoir sur le sujet.

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    • Il me semble que le système climatique est, au contraire, caractérisé par l’inertie. En particulier parce que ses oscillations « naturelles » sont sans doute liées aux déplacements de chaleur verticaux et horizontaux dans les océans.
      Concernant l’aspect chaotique et la prédictibilité, ce n’est pas parce que le climat est chaotique qu’il ne peut pas être très stable autour d’attracteurs. La question est: est ce que 4 ou 5 « runs » d’ordinateur sont suffisants pour caractériser les attracteurs dans 100 ans?
      Sur l’approche générale des « climatologues », le non sens de départ est bien sûr de prendre comme point de départ le « forçage » du CO2 et de considérer tout le reste comme des « rétroactions » alors que c’est l’inverse qu’il faut faire: modéliser le principal, et étudier l’effet de la petite perturbation CO2.
      De même, la manière de présenter toutes les « rétroactions » comme un tout indifférencié fait rigoler les familiers de l’analyse des systèmes: elles ont des interactions entre elles et ont des constantes de temps très différentes. Seule une identification matricielle du système peut servir à quelque chose (Voir De Larminat).

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      • Merci beaucoup Roi Louis. Sur la question de l’inertie je ne dispute évidemment pas que les climat est soumis à une multitude d’oscillations. On peut toutefois les séparer en deux catégories: celles qui montrent une régularité raisonnable (le ‘forçage orbital’, dans une certaine mesure El Niño, etc.), et celles qui sont difficilement modélisables (comme la fameuse oscillation atlantique multidécennale bien étudiée par Syun Ishi Akasofu, ou la bascule Artique-Antartique). Dans les deux cas leur présence entraine une certaine inertie, quoique dans le deuxième tout espoir de prédiction est fortement amoindri. Mon point de vue toutefois est que même si le système comprend une part pseudo-déterministe cela ne change pas le problème: la combinaison de toutes les relations en présence le rend absolument imprévisible (Henri Poincaré nous a appris à être modeste dans le domaine), et les tendances peuvent s’inverser à tout moment sans qu’on ait pu anticiper de point d’inflexion… Sauf si comme vous le suggérez on puisse mettre en évidence des attracteurs suffisamment forts pour engendrer une stabilité à terme, mais n’est ce pas un peu incantatoire? Y a-t-il des fondements à avoir une certaine confiance dans le fait que ce puisse être le cas? Et même si cela était, peu-on avoir le moindre espoir d’accéder à une connaissance suffisamment fine de ces attracteurs au point de pouvoir faire des prédictions?

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    • Je ne suis pas scientifique, mais je réfléchis ! (ça n’est pas incompatible, remarquez !).
      Je suis bien incapable de répondre à vos remarques. Mais la 2° m’interpelle sur une question que je me suis toujours posée :
      Nos réchauffistes nous disent qu’on comprend assez mal les paramètres naturels déterminant le changement climatique. Comment peut-on alors être sûr de la part de responsabilité du CO2 rejeté par l’homme dans le-dit changement climatique ?
      Les paramètres mal compris seraient-ils tout simplement glissés sous le tapis ? Auquel cas, la climatologie serait une science exacte !?!?
      Désolé de ne pouvoir répondre à vos interrogations.
      J’ai simplement eu l’audace, et je m’en excuse, de donner un point de vue de néophyte !
      Climatiquement et respectueusement vôtre. JEAN

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      • Cher Jean, ce qui me choque le plus est que les scientifiques le laissent influencer par la politique. Vous vous souvenez peut-être de cette scène à la bibliothèque Médicis où l’auteur de ce site demandait å Bernard Legras pourquoi il faisait référence à « l’administration Bush » dans son argumentaire… Je suis très contrit d’avoir découvert que les scientifiques ne valent pas plus que les autres groupes humains: ils sont dominés par leurs désirs. Un scientifique honnête doit reconnaître que ni le climat ni l’effet du CO2 ne sont modélisables et qu’ils le resteront pour de nombreuses décennies si ce n’est pour toujours. Il ne s’agit pas de variables ‘sous le tapis’ mais bel et bien de ‘vérités qui dérangent’ qu’on étouffe à dessin. Je ne plaide pas pour un scepticisme déraisonnable (celui qui pousse à refuser l’évidence que le soleil se lèvera demain), mais pour la reconnaissance du fait que le réchauffement d’origine humaine n’est qu’une spéculation devant laquelle les modèles les plus sophistiqués sont ridiculisés par leur inaptitude à prédire quoique ce soit.

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  3. Je n’ai jamais prétendu qu’on saurait un jour modéliser nos climats à 10, 20 ou 100 ans… Je pense qu’on est loin, très loin, de pouvoir le faire. Je voulais juste dire que cela ne me paraît « théoriquement » impossible. Dans la pratique c’est autre chose…surtout à l’échelon régional, qui est le seul présentant un intérêt pratique.
    Je voulais aussi m’insurger contre ce que certains affirment (y compris certains modélisateurs) qui est que il aurait d’un coté une évolution déterministe du climat liée à l’évolution du CO2, et de l’autre coté une évolution aléatoire, dite « naturelle ». On serait ramené, pour évaluer la part du CO2, à une simple séparation signal/ bruit. Cela me paraît une idiotie totale.

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