Energie : retour aux réalités (2)

Par MD

« Plus le vase versait, moins il s’allait vidant :
Philémon reconnut ce miracle évident »
(La Fontaine)

Introduction
Dans un précédent article, on avait commencé à analyser et illustrer quelques séries longues extraites du document annuel Statistical review of world energy publié récemment par BP, en l’occurrence les consommations d’énergies de toutes natures et les émissions de CO2 en résultant. On s’intéresse maintenant aux réserves de minéraux solides, liquides et gazeux nécessaires à la production d’énergie, ainsi qu’aux échanges internationaux de ces produits et accessoirement à leurs prix. Cette année, et pour la première fois, BP n’a pas mis à jour les estimations des réserves « due to process improvements » écrit-il (sans préciser davantage la raison exacte). Les dernières données en date sont donc celles de 2020 : ces réserves sont dites « prouvées » (gisements repérés avec certitude et dont l’exploitation peut être faite par des méthodes existantes et éprouvées). Par contre, les données de productions et d’échanges, comme celles des consommations, sont bien mises à jour jusqu’à 2021.

Les graphiques qui suivent concernent respectivement les trois produits fossiles et sont de trois types :
1/ graphiques chronologiques (1980-2021) superposant les réserves (en tiretés échelle de gauche) et la production (en doubles traits échelle de droite) avec des échelles appropriées ;
2/ graphiques chronologiques (1980-2020) du rapport « réserves sur production (R/P) » qui exprime le nombre d’années restant à courir avant l’épuisement des réserves en supposant que la production annuelle se maintienne au niveau de la dernière année connue (hypothèse toute théorique) ;
3/ graphiques de la répartition des réserves en 2020 entre les principaux pays détenteurs.

Pétrole.
image001image002La courbe supérieure des réserves en petits tiretés bleu clair tient compte de gisements du Canada (oil sands) et du Venezuela (Orinoco belt) dont l’exploitation n’est pas certaine : le rapport R/P n’en tient pas compte. La production de pétrole n’a pas encore retrouvé son niveau des années 2015-2019, du fait – selon BP – de la baisse de la consommation dans les transports et plus particulièrement dans le transport aérien. D’où une augmentation mécanique du rapport R/P.
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Gaz naturel.
image004image005La baisse du rapport R/P s’explique surtout par l’augmentation importante de la production ces cinq dernières années.image006

Charbon.
image007image008Par simplification, l’anthracite et le lignite ont été sommées. L’estimation des réserves est particulièrement erratique. BP ne publie d’ailleurs pas de séries historiques, il faut donc les reconstituer à partir des rapports annuels, c’est pourquoi la série n’est tracée qu’à partir de 1998 (quoiqu’il existe ailleurs des séries de données pour les années antérieures). La production est à peu près constante depuis une dizaine d’années.image009

Synthèse.
On peut synthétiser les données précédentes dans le tableau suivant (très simplifié). Comme l’année 202o a été atypique, on a pris des valeurs de production approximatives.image010

Conclusions sur les réserves.
Il est banal de constater que les réserves estimées de produits fossiles n’ont jamais cessé d’augmenter tendanciellement, leur exploitation progressive étant compensée par de nouvelles découvertes ou de nouvelles méthodes d’extraction. Ces réserves ne sont d’ailleurs connues que très imparfaitement pour différentes raisons. Les pays déclarants peuvent avoir des doutes sur certains gisements, ou encore trouver un intérêt géostratégique à les sous-estimer ou à les surestimer. De nombreuses régions du monde restent encore inexplorées, tels les plateaux continentaux ou les zones arctiques. On pourra notamment s’étonner de la faiblesse de l’Afrique dans le recensement des réserves de charbon. Sans parler des obstacles physiques, financiers et réglementaires dressés volontairement et par principe pour entraver des découvertes ou des exploitations, chez soi – ou chez les autres si on en a le pouvoir (comme le font les établissements d’« aide au développement » – sic). Exemple caricatural, la France est allée jusqu’à abroger les permis déjà accordés et même à interdire la simple exploration des gaz de schiste (loi 2011-835 du 13 juillet 2011).

Bref tout laisse à penser que l’épuisement des ressources n’est pas (encore) à l’ordre du jour.

Echanges internationaux.
Du fait de l’inégale répartition géographique des ressources, les trois produits fossiles donnent lieu à un commerce international intense. Les échanges en 2021 sont résumés dans les tableaux simplifiés ci-après (attention aux unités). En 2022, la répartition de ces échanges devrait être notablement différente du fait de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et de ses conséquences.

Pétrole brut. Au total, les échanges s’établissent à 2,1 milliards de tonnes soit la moitié de la production, le Moyen-Orient et la Russie étant les principaux exportateurs.image011

Gaz naturel. On distingue le transport par méthanier (GNL) et le transport par gazoduc. Au total, les échanges s’établissent à 516 + 802 # 1 300 milliards de m3 soit un tiers de la production.
image012image013Charbon. Dans la base BP, les échanges sont exprimés en exajoules ; ils ont été convertis approximativement en tonnes selon le ratio moyen : 1 EJ = 49 Mt (ratio mondial observé ces dernières années). Au total, les échanges s’établissent à 1,6 Gt soit un cinquième de la production.

image014On ne commentera pas davantage ces tableaux, qui donnent une idée générale des grands échanges. On voit l’importance des marchés asiatiques dont l’appétit pour les produits fossiles importés est considérable, même pour le charbon malgré leurs ressources propres.

Prix des produits sur les marchés mondiaux.
Pour chacun des trois produits, BP fournit plusieurs séries de prix sur les marchés internationaux. Le graphique ci-dessous reproduit l’évolution des indicateurs les plus couramment utilisés.image015Les moyennes annuelles dissimulent des variations intra-annuelles qui peuvent être tout aussi erratiques. On ne peut manquer d’observer un certain parallélisme dans les fluctuations des cours. On sait que les premiers mois de l’année 2022 ont connu une augmentation générale prolongeant et amplifiant un mouvement largement amorcé fin 2021.

Conclusion provisoire.
Tous ces éléments d’information montrent que le monde, considéré dans son ensemble, ne risque pas à moyen terme de pénurie physique de ressources énergétiques fossiles (toutes questions de prix, essentiellement conjoncturelles, mises à part). Encore faut-il qu’il les utilise rationnellement, et ne renonce pas à les utiliser pour céder aux lubies du moment. “Leave the oil in the soil and the coal in the hole” n’est qu’un bout rimé amusant mais ne saurait tenir lieu de politique énergétique. Imagine-t-on un seul instant les pays du sud-est asiatique renoncer à exploiter les énormes ressources de leur sous-sol ? Fonder des délibérations et des « décisions » sur de tels principes revient à se condamner à la stérilité, comme le montre le carrousel interminable des palabres internationales. Il y a sûrement mieux à faire. Tiens, par exemple, combattre la pauvreté, véritable problème mondial qui au fond explique – et devrait éclipser – tous les autres.

Appendice.
La base de données de BP comporte aussi d’importantes séries de données concernant la production d’électricité ainsi que – depuis les trois dernières éditions – les réserves de métaux dits « critiques » nécessaires aux nouvelles technologies et à l’extension des réseaux.

10 réflexions au sujet de « Energie : retour aux réalités (2) »

  1. C’est pas du tout comme ça qu’on m’a dit que ça allait se passer.
    On m’a expliqué qu’il fallait d’urgence arrêter de consommer du pétrole parce qu’il n’y en avait quasiment plus et qu’en plus le brûler abîmait la planète de nos enfants.

    Avec des articles comme celui-là, vous mettez au chômage nos trois ministres de la transitude énergétique. Vous êtes content ??
    Et qu’en pense Greta ?

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    • Excellent !
      Greta et son troupeau d’ados ignares n’ont toujours pas compris que l’Europe ne pèse plus grand chose aujourd’hui dans les émissions de CO2, par rapport au reste du monde. Au lieu de bêler tous les vendredis dans nos opulentes capitales européennes pour « sauver le Climat », ils feraient mieux d’aller le faire en Chine ou en Inde. Ils y seront sûrement aussi bien reçus que par Barak Obama ou par le pape François.

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  2. Coucou,

    Article trés interessant , comme d’habitude Mr MD. Je ne suis pas trop d’accord concernant les « lubies », mais bon on ne peut pas etre d’accord sur tout !

    Bonne journée

    Stéphane

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  3. Merci MD pour cet article remarquable, très intéressant et très bien écrit. Ces données devraient être exploitées par les profs dans nos collèges et lycées. Ainsi que celles concernant les réserves et production d’uranium (rapport R/P actuel > 100 ans ?). On peut rêver.
    Je me souviens quand j’étais gosse, l’un de mes profs de géo nous avait déjà alerté sur le fait que les réserves de pétrole et de gaz n’étaient pas inépuisables. J’avais était frappé par le fait que le rapport R/P des USA était à peine de 20 ans. C’était à la fin des années 60, bien avant le grand délire, et avant le gaz de schiste.
    Plus généralement, s’agissant des minerais, avant d’aller exploiter ceux de la Lune, de Mars ou des satellites de Jupiter, je me dis que les puits de mine ne descendent pour la plupart qu’à quelques centaines de mètres sous terre alors que l’épaisseur moyenne de la croûte terrestre est de 35 km. On a donc un peu de marge…
    Plus sérieusement, pour en revenir aux énergies fossiles, il y a une donnée qui est absente de votre article et sans doute aussi du document BP: c’est l’évolution du ratio EROEI (énergie restituée sur énergie investie) pour les diverses ressources et gisements. Tant que ce ratio reste très supérieur à 1 on s’en soucie peu, mais d’après JMJ (voir par ex. sa BD, le monde sans fin) les gisements exploités les plus récents auraient un EROEI de 4, contre plus de 100 pour les premiers gisements pétroliers. Cela doit-il nous alerter, ou pouvons-nous espérer que nous inventions des techniques d’extraction moins énergivores pour pouvoir rentabiliser des gisements actuellement inexploitables ?
    Bien à vous

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  4. @Sprum
    Très bon article ; c’est pas parce que le pic oil s’est transformé en plateau que les réserves sont éternelles ; elles ne baissent pas parce que le prix des recherches et de l’exploitation grimpe; mais ce n’est pas une raison de dilapider ces réserves pour couvrir la terre de résidences secondaires
    et d’autoroutes, d’éoliennes ou de chars d’assaut
    Si le prix du baril et du litre d’essence monte , tant mieux ; cela fait du bien à mes actions TOTAL

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    • C’est bien sûr inimaginable, du moins en l’état actuel de l’enseignement, c’est pourquoi j’ai ajouté « On peut rêver »…
      Il me semble que Monsieur Spock, habitant bien connu de la planète Vulcain, avait toujours la courtoisie d’écouter jusqu’au bout les propos de ses interlocuteurs terriens, pour ne pas les juger trop hâtivement.
      Vous devriez peut-être faire comme lui.

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  6. « L’age de pierre ne s’est pas terminé par manque de pierres » . Dans bcp d’endroits les machines de captation-récolte des énergies intermittentes sont rentables pour économiser les combustibles fossiles et ne gênent pas trop les habitants éloignés. Mais ce qui manque, ce sont des systèmes pilotables dont les coûts totaux au MWh réellement disponible à tout moment et niveau de la demande sont inférieurs à ceux produits avec du charbon et du gaz (hors crises de quelques trimestres) . Les émissions de CO2 sont un prétexte qui s’évaporera mais le besoin d’une énergie abondante, discrète et bon marché reste encore insatisfait . Même si il semble qu’il pourrait l’être avant la fin des combustibles fossiles moins chers (genre 100€ le MWh). Les fossiles resteront longtemps utiles pour leurs riches molécules. L’avantage des réserves rappelées dans les trois billets de MD est que nous avons un peu de temps… si nous ne faisons pas n’importe quoi à gaspiller l’épargne et le temps de travail des humains.

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