Mentir vrai

par Rémy Prud’homme.

On peut mentir en disant la vérité. C’est même l’un des ressorts d’une propagande efficace. Il est navrant de voir que les politiques, l’administration, et les médias, font un usage constant, et croissant, de cette pratique. De plus en plus, l’opinion remplace la connaissance, l’émotion occulte la réflexion, et le communicant évince l’analyste. On le montrera sur un exemple peu important en soi mais malheureusement représentatif d’une tendance lourde. Ces jours-ci tous les médias clament haut et fort que la mortalité routière a en juillet baissé de France de plus de 5% (par rapport à juillet 2017). Ce chiffre est certainement exact. Mais il est utilisé pour « prouver » que ce recul, évidemment très désirable, est causé par la baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires instaurée le 1erjuillet. Tantôt le lien de causalité est affirmé. Tantôt, il est suggéré, pas toujours avec subtilité, comme le montre ce titre d’un grand journal du matin qui juxtapose l’information avec un panneau de limitation de vitesse à 80 km/h. Là est le mensonge.

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L’objectif est évidemment de faire croire que la politique de réforme du gouvernement obtient des résultats, que le gouvernement avait raison de prendre cette mesure impopulaire, et que ceux qui s’y opposaient n’avaient aucun souci des vies humaines. En réalité, la baisse enregistrée en juillet ne signifie absolument rien, pour au moins trois raisons.

La première est qu’elle concerne l’ensemble des routes (et même des rues) de France, et pas seulement les routes dont la vitesse maximale a été limitée. Pour porter un jugement sur la modification administrative intervenue, les seules données intéressantes concernent évidemment l’accidentalité sur ces routes-là ; sa baisse est peut-être plus élevée, ou plus faible, que l’accidentalité sur l’ensemble des routes du pays.

Deuxièmement, l’évolution de la mortalité dépend de bien d’autres facteurs que la limitation de vitesse, tels que l’importance du trafic, sa structure, la météorologie, etc. Pour établir une causalité, il est bien entendu nécessaire de prendre en compte (on dit : contrôler) tous ces facteurs.

Troisièmement, la mortalité routière a sensiblement diminué pendant les six premiers mois de l’année (par rapport à la même période de 2017), c’est-à-dire avant la mesure vantée. En mai elle a baissé de 8,4% ; en juin, de 9,3%. Un esprit malveillant, considérant que 5% est bien inférieur à 9%, pourrait en conclure qu’en juillet, la mesure de limitation n’a pas accéléré la baisse de mortalité, mais l’a au contraire freinée ; sa conclusion serait mal fondée.

Il ne s’agit pas ici de discuter les gains (accidents évités) et les coûts (millions d’heures perdues) de la mesure de limitation. Encore moins de nier son possible ou probable effet positif sur la mortalité routière. Il s’agit de mettre en évidence un mécanisme de propagande. Il est bien naturel que les gouvernements soulignent leurs succès plutôt que sur leurs échecs. Il est déjà moins normal que l’administration (« que le monde nous envie ») devienne un vulgaire instrument de propagande, et fasse dire aux chiffres ce qu’ils ne disent pas. Il est triste que les médias, par paresse ou par ignorance, servent de caisse de résonnance à ces manipulations. On a connu cela lors de la première guerre mondiale, lorsque gouvernement, administration et médias transformaient les reculs en « replis stratégiques », et les défaites en victoires. Il s’agissait alors d’empêcher l’invasion de la France ; il s’agit aujourd’hui de gagner deux points dans les sondages d’opinion.

10 réflexions au sujet de « Mentir vrai »

  1. Merci pour cette excellente analyse qui démontre qu’il y a un vrai problème concernant l’information en France : incompétence ou collusion des médias avec le pouvoir? A moins qu’il ne faille chercher dans cette pensée unique devenue si puissante que la contredire, c’est risquer sa carrière….à défaut de sa liberté un jour?

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  2. on se perd en conjectures non?
    cette dérive hystérique est arrivée à un point où toute intervention raisonnée, ou raisonnable est balayée, vilipendée, ce mouvement est de plus en plus devenu « religieux »
    Serait-ce notre éducation qui instille en nous la culpabilité originelle?
    en tout cas, tous les médias, tous les politiques, tous les gens qui ont une exposition médiatique sont en pleine « communion »
    Juste sur la terrible canicule qui a « ensanglanté » la France,
    https://realclimatescience.com/2018/08/no-trend-in-french-summer-temperatures/#comments

    on pourrait en rire, mais au final, on va en pleurer

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  3. Ce n’est même pas la baisse des limites que je conteste, mais surtout leur application désordonnée. Le pancartage des routes devient extrêmement difficile à appréhender : limite à 90 ? à 50 ? à 70 ? on ne sait plus parfois à « combien on peut rouler ».

    Les panneaux valsent sur les nationales et les autoroutes, et en une seconde d’inattention vous croisez un panneau « 70 rappel » alors que justement vous ne vous rappelez pas avoir vu le premier 70 de la série. Pas de chance, la route est belle et le temps de dire ouf, un radar de chantier vous fait un sort.
    Il n’y a plus qu’à débourser les 45 euros pour avoir été flashé à 76 km/h au lieu de 70…
    Un petit côté racket…

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    • Un exemple concret : sorti de l’autoroute après Niort je roule en direction de Limoges, succession de limitations 90 (pas de séparateur, mais 2 voies dans ma direction, une seule dans l’autre, et de 80, la même mais dans l’autre sens), et cela sur près de 40 km.
      Heureusement pas de radars, ou alors réglés « intelligemment » (marge de quelques km/h ?)

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  6. Oui, bien-sûr, on peut mentir en énonçant une vérité : s’il est effectivement 2 H, mais que je pense sincèrement qu’il est 3 H et que je dis « il est 3 H », je ne mens pas alors que je mentirais si je disais qu’il est 2 H, c’est-à-dire la vérité. En effet, mentir n’est pas dire une contre-vérité mais dire quelque chose de contraire à ce que l’on pense.
    Seulement, vous faites ici un usage impropre du verbe mentir. Dans ce que vous dénoncez – à juste titre – Il s’agit d’une embrouille complexe qui pourrait se décomposer en plusieurs sophismes classiques, dont – mais pas seulement – l’attribution d’une valeur de causalité à une simple corrélation (*) auxquels il faut adjoindre l’intimidation.

    Moussa Razeh (ex mathématicien professionnel et philosophe thomiste amateur)

    (*) Combien de « vérités » de la science moderne lui doivent leur gloire mondaine (gloria mundi) !

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