La politique climatique de l’Inde

Par Rémy Prud’homme.

Lorsque M. Modi est arrivé au pouvoir, en 2014, il était considéré en Occident comme un extrémiste nationaliste, une sorte de Le Pen indien, et comme tel peu fréquentable. Aujourd’hui, il est systématiquement présenté comme un élève modèle de la classe climatique, par contraste avec le cancre Trump. A en croire les médias français, l’engagement de l’Inde dans l’énergie solaire en ferait un magnifique exemple de la lutte contre le CO2 – un exemple dont le monde entier, et en particulier la France, devrait s’inspirer. La réalité est complètement différente.

     L’Inde, qui sera bientôt le pays le plus peuplé du monde, est d’abord un pays pauvre. A la fois effet et cause de cette pauvreté, des centaines de millions de personnes y vivent sans électricité. Le principal objectif des dirigeants indiens est de faire reculer cette misère, et d’offrir à tous l’accès à l’électricité. Ils obtiennent d’ailleurs de beaux résultats, puisque l’Inde connaît depuis une dizaine d’années des taux de croissance de 7 ou 8%. Tous les hommes de cœur s’en réjouissent. Ce recul de la pauvreté a été de pair avec une forte hausse de la consommation de charbon et des rejets de CO2 : ils ont pratiquement doublé au cours des dix dernières années (+88% pour le charbon, +81% pour le CO2). L’électricité provient, en 2016, des combustibles fossiles à hauteur de 83%, du photovoltaïque pour moins de 1% et de l’éolien pour 3%. Bon en développement, mauvais en climat. Voilà pour le passé et le présent.

     Pour le futur, il y a encore tant de pauvreté en Inde que les dirigeants de ce pays entendent bien continuer dans la même voie. Ils le disent clairement. Les intentions affichées par l’Inde pour les Accords de Paris (sa CPDN, contribution prévue déterminée nationalement, dans le jargon climatique), qui sont un peu moins que des engagements, annoncent une diminution de l’intensité en carbone (le ratio CO2/PIB) de 1,7% par an d’ici 2030, et une augmentation du PIB de 7,6% par an : en d’autres termes, l’Inde a exprimé à la COP 21 son intention d’augmenter ses rejets de CO2 d’environ 6% par an d’ici à 2030. En millions de tonnes, c’est quatre fois plus que la diminution prévue par et pour toute la Communauté Européenne pour la même période. On peut approuver ce projet, qui est celui d’un gouvernement légitime. Mais il est grotesque de le présenter comme une contribution majeure à la réduction des rejets de CO2 du globe.

     Pour l’électricité, les projets de l’Inde pour 2027 sont précisés dans un Plan National publié en décembre 2016. Une forte augmentation de la production totale (+58%) est prévue. La part des renouvelables, qui est actuellement très faible, devrait augmenter et passer de 4% aujourd’hui à 13% en 2027. L’électricité à base de charbon devrait diminuer en valeur relative (passer de 83% à 70%), mais, et c’est ce qui compte pour le climat, augmenter en valeur absolue (de 33%). Là encore, on peut approuver ces choix. Mais il est ridicule de les présenter comme une participation importante à la réduction des rejets de CO2 de la planète, puisqu’ils impliquent une augmentation (de 33%) de ces rejets.

     Par quels tours de prestidigitation les propagandistes des politiques climatiques transforment-ils ce plomb en or ? Ils utilisent principalement trois trucs. Le premier consiste à se focaliser sur les seules augmentations relatives des renouvelables, qui sont en effet impressionnantes : une multiplication par 3 pour l’éolien, par 20 pour le solaire, et à mettre sous le tapis le bas niveau du point de départ. Le deuxième consiste à s’exprimer en capacités (en GW) et non pas en productions (en TWh), en oubliant que 1 GW de thermique fonctionne 5 ou 6 fois plus d’heures par an qu’un GW solaire, et produit donc 5 ou 6 fois plus d’électricité. Le troisième truc consiste à confondre souhaits et réalisations ; rien ne garantit en effet que l’Inde mettra en œuvre les projections qu’elle offre.

     Au total, l’Inde entend bien continuer à donner la priorité au développement plutôt qu’au climat. Bravo ! En plus, M. Modi se débrouille pour ranger son pays dans le camp du bien. Double bravo ! Mais nous ne sommes pas pour autant obligés de céder à la désinformation ambiante.

RPHInde

Sources et notes : Capacités : Draft National Electricity Plan 2016, Table 5-14 ; production 2016 : Wikipedia. La production 2027 est calculée en supposant, pour chaque mode, le taux d’utilisation (le ratio production/capacité) de 2027 égal à celui de 2016. Le total néglige la contribution des renouvelables non-intermittents, qui est faible.

 

11 réflexions au sujet de « La politique climatique de l’Inde »

  1. La recette est d’une simplicité biblique et très commune aux vendeur de rêves =>
    Ne parler que de pourcentages, soigneusement choisis, et omettre purement et simplement que dans un pourcentage il existe bêtement un truc qui s’appelle la « base 100 » !

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  2. Le G20 s’est achevé et Trump a pu négocier facilement un accord pour pouvoir vendre son gaz de schiste aux pays qui en ont besoin.
    Là on apprend que l’Inde va pouvoir rejeter 4 fois plus de CO2 que ce que les Européens vont éviter de rejeter.
    Je crois que les Chinois ne s’engagent pas pour d’ici 2030.
    Donc tout va bien, le CO2 va continuer à monter tranquillement pendant que nous on va se tirer des balles économiques dans le pied… pour montrer l’exemple je suppose.
    Quand on voit ça, on a peine à croire que nos dirigeants, qui veulent absolument éviter qu’on rejette du CO2, croient vraiment à l’effet de serre dû au RCA.
    D’ici 2030, de l’eau aura coulé sous les ponts et peut-être qu’on aura droit à un petit refroidissement, étant entendu que si ça se refroidit, ce sera bien sûr à cause du réchauffement…

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  3. Pour une fois, je suis malheureusement assez d’accord avec ce qui est dit dans ce post et les réponses faites. Les COP2x et toutes leurs bonnes intentions ne sont pour l’immense majorité que des mots. Car dans les faits, la consommation de carburants fossiles va augmenter encore pendant longtemps, que ça soit dans les pays en développement comme l’inde, la chine, mais aussi dans les grands pays occidentaux dont l’économie est sous perfusion,de carbone. Par contre, je crains fort que le refroidissement que vous annoncez ne soit aussi probable que la baisse du chômage,ou que la vie sur Mars. On peut toujours espérer et faire la danse de la pluie, on ne sais jamais ! Le super nino s’en est allé, le cycle de milankovitch aussi, et pourtant les chiffres et les moyennes °C 2014,2015,2016 et le vécu 2017 continuent inexorablement dans le même sens, battant régulièrement des records (pas de froid, ou alors j’ai loupé quelque chose). Allez encore un peu de patience, on sait jamais , j’ai lu que pour 2019 ou 2020 ça devrait le faire. C’est bientôt !

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  4. Bonjour,
    Pour le refroidissement éventuel, on ne le saura que dans quelques années. Il serait lié à la baisse d’activité solaire. Cette activité dévierait des particules cosmiques et éviterait la formation de nuages empêchant le soleil de chauffer la Terre. Donc activité en berne signifierait, nuages, signifierait refroidissement. A voir dans les 5-10 ans donc…
    Par contre, s’il est vrai que la terre bat des records de chaleur, surtout depuis 3-4 ans, il semblerait que la température globale soit sur une pente descendante après le gros El Niño de 2015-2016 et qu’on revienne à peu près au même niveau d’anomalie qu’il y a 10 ans par exemple.
    La dernière courbe UAH avec l’anomalie de Juin 2016 => http://www.drroyspencer.com/wp-content/uploads/UAH_LT_1979_thru_June_2017_v6.jpg
    Ça redescend. En dents de scie, mais ça redescend (même si on a eu un coup de chaud en France).

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    • Bonjour
      j’aimerais vraiment que vous ayiez raison mais je suis plus pessimiste. La courbe montre certes des ondulations depuis des décennies.On voit bien d’autres montées descentes qui ont déjà eu lieu. On pourrait considérer que ce sont les cycles naturels solaires et autres, superposés à la variabilité (bruit) d’une année à l’autre. Mais ce qui apparaît nettement aussi c’est la tendance moyenne. Pas besoin de pc et d’excel pour tracer et mesurer ce biais d’environ +1°C. Et il s’agit là de la moyenne mondiale. A certains endroits c’est beaucoup plus marqué que cela. Plutôt proche des +1.8°C dans le Sud de la France par exemple. Pour une Temp moyenne de 13°C ça fait 15% de plus ! Alors vous imaginez le surplus d’énergie thermique ? Pour passer réellement dans une phase de refroidissement il faudrait que la courbe redescende très très bas et pour une durée assez longue. Hélas aucun signe dans ce sens nulle part. Mais j’attends avec impatience ce futur minimal annoncé par certains experts.

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  5. En fait, je ne l’espère pas trop ce froid. Imaginons que dans 20 ans on pleure les années 2010-2020, les voyant comme un optimum climatique où il faisait finalement bon vivre.
    Je préfère des hivers assez doux et des étés chaud plutôt que des hivers très rudes et des étés pourris.
    Déjà, quand il fait -10°C ou qu’il neige, c’est le bazar. Coupure d’électricité, énormes problème de circulation (surtout avec des véhicules électriques) avec tout ce que ça implique, serait notre nouveau lot.
    Si en plus il faisait froid au point que nos récoltes ne soient plus ce qu’elles sont aujourd’hui, on serait dans la vraie panade. On a plus à craindre du chaud que du froid.

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    • Votre dernière phrase est un lapsus, vous vouliez écrire l’inverse je suppose : on a plus à craindre du froid que du chaud ? Ça dépend où l’on se trouve et surtout del’amplitude des anomalies. Mais dans beaucoup de pays chauds (Inde, Pakistan, Afrique…) les canicules de ces dernières années ont dépassé les 50°c seuil lethal et ont fait des dégâts humains considerables. C’est bien plus dramatique que d’avoir sa voiture bloquée par la neige. Les pays du Nord plus froids ont toujours appris à vivre s’adapter. Par contre les seules famines depuis plus d’un siècle concernent les pays pauvres et très chauds (Éthiopie. …). Un basculement de quelques degrés supplémentaires pour beaucoup sera terrible.
      Mais encore une fois puisque c’est le refroidissement qui est annoncé, ce scénario n’est pas à craindre. Il suffit d’attendre !

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  6. Oui, lapsus de ma part. Dans ma tête je pensais « on a plus à craindre du froid que du chaud » et je n’ai pas vu que j’avais inversé chaud et froid dans ma phrase. Tous les mots étaient là mais pas dans le bon ordre.
    Le refroidissement est annoncé par certains, d’autres annoncent un fort réchauffement, d’autres encore un réchauffement très faible. Qui croire ?
    Quoi qu’il arrive, on le saura dans un certain temps…

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  7. Finalement quelle est l’importance du CO2 anthropique dans cette grande question du climat ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit très souvent et qui exigera des milliards de $ plus utiles ailleurs !
    Selon diverses documentations consultées, il représenterait moins de 2% des GES.
    Quelqu’un pourrait-il me fournir des indications précises et sérieuses à ce propos ?

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    • C’est bien là toute la question qui génère visiblement des tensions, car certains parlent de 5%, d’autres de 20%, finalement l’avis le plus répandu est d’une dizaine de %. Pour un effet de serre total de 33°C ca fait fonc un peu plus de 3°C. Le béotien moyen que je suis, dirait alors : mais si le taux de CO2 double, son effet sur la température double aussi ? J’espère que non et que c’est sûrement plus compliqué. J’attends toujours une réponse claire et qui ferait l’unanimité. Ceci dit, le taux de CO2 a augmenté de 40% et la température de plus de 1°C ? Mais peut être va t’on vers une année 2017 plus froide, ou 2018 ?

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