Par Rémy Prud’homme.
Le Figaro est un grand journal sérieux que je lis chaque matin avec plaisir et profit. Le 18 janvier 2023, il publie, sous la signature de Fabrice Nodé-Langlois, un article intitulé : « Des éoliennes contre les missiles russes ». La guerre à l’Ukraine sert à tout, même à faire la com et la pub des éoliennes. L’auteur écrit : « L’Ukraine pourrait déployer en quelques années 30 GW de capacité renouvelable, soit la puissance d’une trentaine de réacteurs nucléaires type Fessenheim ». Le procédé est classique, et habile. Il s’appuie sur une information juste pour transmettre un message faux.
Il est exact que la puissance de 30 réacteurs nucléaires type Fessenheim est d’environ 30 GW (elle est même un peu moindre). Mais il ne s’ensuit pas du tout que 30 GW d’éolienne rendent les mêmes services électriques que 30 GW de nucléaire. Pour deux raisons.
Tout d’abord, les centrales nucléaires terrestres fonctionnent environ 8000 heures par an, produisant 240 TWh par an, alors que les éoliennes fonctionnent environ 2000 heures par an (un peu moins en 2022 en France), produisant 60 TWh – quatre fois moins d’électricité.
Mais, dira-t-on, en matière d’électricité, il n’y a pas que la production annuelle qui compte, il y a aussi la puissance, la capacité à fournir du courant au moment où on en a besoin, en particulier lors des pointes de demande, et à éviter ainsi les coupures. De ce point de vue important aussi, les centrales nucléaires sont cent fois plus sûres que les éoliennes. On peut facilement faire en sorte que les arrêts indispensables pour recharger et entretenir les centrales nucléaires se situent durant les heures creuses de l’été, afin d’être certain qu’elles seront au rendez-vous des pointes d’hiver. Rien de tel avec les éoliennes. Elles ne sont pas « pilotables ». Elles ne produisent que lorsque le vent souffle (et pas trop fort). Eole n’est pas seulement paresseux (il dort les trois-quarts du temps), il est également capricieux (on ne sait pas quand il travaille). On ne peut absolument pas compter sur les éoliennes pour faire face aux pointes.
Ne pas mentionner ces « détails », présenter un tableau qui les cache ou qui les omet, revient à tromper le lecteur. C’est lui faire croire que 30 GW d’éoliennes égalent 30 GW de nucléaire. En un mot : à mentir.
Est-ce par ignorance ? Cela n’est pas impossible : il ne faut pas sous-estimer l’ignorance de certains journalistes (et de beaucoup de politiciens). En matière d’électricité, nombreux sont ceux qui confondent allègrement puissance et production, KW et KWh.
Est-ce par idéologie ? Cela se peut : les éoliennes c’est le bien, le nucléaire le mal ; et beaucoup de journalistes se veulent combattants du bien, plutôt que défenseurs du vrai.
Est-ce par naïveté ? Sans doute. L’article cite, et reprend à son compte, une déclaration de M. Andersen, le patron danois de Vestas, le plus important producteur d’éoliennes d’Europe. Le bon sens le plus élémentaire imposerait de considérer les affirmations d’un marchand d’éoliennes sur les magnifiques vertus de ses produits avec prudence, sinon avec méfiance, et de les utiliser cum grano salis. Ce n’est pas du tout ce que fait cet article. Il faut le déplorer.
Les phénomènes transitoires sont souvent bien mal compris en effet.
Imaginons une auto équipée d’un régulateur de vitesse calé à 90 km/h. La voiture aborde une pente montante, la vitesse va diminuer, cette diminution va être détectée par le régulateur qui aussitôt va augmenter la force motrice appliquée aux roues, ce qui ne peut se faire qu’en augmentant le débit de carburant injecté dans le moteur.
C’est la même chose dans le cas qui nous intéresse : la vitesse angulaire des alternateurs des centrales pilotables doit rester constante afin de délivrer le 50Hz requis. En cas de pointe de consommation, l’inertie mécanique des rotors l’absorbe mais cela se traduit par une diminution de la vitesse angulaire qui sera aussitôt compenser comme dans l’exemple ci-dessus.
Ceci n’est pas possible avec les ENRI : on ne peut augmenter l’ensoleillement ou la vitesse du vent à volonté.
En conclusion, quelle que soit l’ensoleillement ou la vitesse initiale du vent, les ENRI ne pourront jamais absorber la moindre pointe.de courant.
Un physicien africain avait bien résumé la situation à l’époque où Borloo prétendait électrifier l’Afrique ( on croit rêver quand on voit la situation actuelle en France…) en répliquant que ce n’était pas avec des panneaux voltaïques que l’on ferait avancer des trains.
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Il y a aussi des caractéristiques de l’éolien à prendre en compte. L’éolien a une faible densité énergétique, et donc il consomme énormément de matières premières, bien plus, à puissance identique, que les centrales thermiques et nucléaires. Cette faible densité énergétique nécessite aussi d’utiliser énormément d’espace, bien plus, à puissance égale, que les centrales pilotables.
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Un bémol à l’article cependant : on parle ici de l’Ukraine, c’est à dire un pays en guerre, dont les infrastructures de production électriques se font régulièrement pilonner – si les russes ne bombardent pas directement les centrales nucléaires (ils ne sont pas complètement idiots non plus, un accident à leurs portes serait du plus mauvais effet !), ils ne se privent pas d’en rendre l’exploitation compliquée en essayant de mettre hors service le réseau et l’infrastructure de distribution. Ce qui est d’autant plus facile que la production est centralisée sur des grandes unités.
À ce titre, il serait effectivement peut-être intéressant pour l’Ukraine de disposer de sources d’électricité de plus faible puissance, mais complètement décentralisées, donc plus compliquées à cibler (mais plus compliquées à réparer aussi en cas d’attaque massive… tout à un coût en ce bas monde).
Il va sans dire que ces éoliennes devraient venir avec les bémols présentées dans l’article, plutôt pour fournir une puissance d’appoint que pour fournir une puissance de base… à moins d’accepter une absence de courant quant la météo n’a pas envie d’en fournir.
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Anagrys, vous soulevez un point intéressant de politique énergétique qui n’est quasiment jamais abordé dans les débats publics : celui de la vulnérabilité des installations en cas de conflit. Même JMJ devant les commissions parlementaires passe très vite sur cette question. Je ne suis pas certain que des champs d’éoliennes ou de panneaux solaires soient moins vulnérables que des centrales. La décentralisation énergétique peut sembler un atout, mais d’un autre côté il est facile de détruire des éoliennes ou des panneaux solaires avec des moyens limités. Alors que pour attaquer une centrale quelle qu’elle soit, il faut des forces armées beaucoup plus puissantes. Quant au danger nucléaire, je vous rejoins: qu’une armée d’occupation veuille s’emparer d’une centrale nucléaire ou la mettre hors d’état de fonctionner, c’est « de bonne guerre » pourrait-on dire, mais la détruire et répandre de la radioactivité sur des milliers de km², ce n’est pas seulement inutile, c’est idiot. Même l’armée russe ne l’a pas fait, c’est dire.
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Je serais curieux de connaître la position de Rémy Prud’homme sur ce point. J’en profite ici pour le remercier de ses nombreux articles, toujours éclairants, et l’encourager à participer aux fils de discussion chaque fois que des points techniques sont soulevés par les lecteurs. Merci d’avance!
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Par ailleurs, il est plus facile de protéger quelques points bien définis que de vastes portions de territoire,
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Par contre les Ukrainiens ont bien failli bombarder la centrale pour le mettre sur le compte des Russes qui l’occupaient … Mais comme on nous explique que les Russes sont les méchants …
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Détruire des panneaux solaires ou des éoliennes, ça fera une ligne dans les médias et permettra au belligérant d’affaiblir son ennemi. Détruire une centrale nucléaire, le même belligérant se mettra à dos la Terre entière et finira au mieux dans une prison de La Haye, au pire lynché par sa population.
Poutine a détruit des centrales thermiques, pas nucléaire. Il sait ce qu’il risque.
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Ils ne mentent pas, ils sont tout simplement ignares, et n’ont pas la moindre connaissance physique. Le journalisme pour eux c’est savoir appuyer sur un bouton pour relayer un article dont ils n’ont lu que le titre.
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Et il y a vraiment très peu de chance que ça change… cela ne fait que croître et embellir
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Bonjour, je pense plutôt qu’ils savent parfaitement ce qu’ils font. Pas un jour ne passe, sans entendre une parodie d’information climatique, avec systématiquement une info parcellaire qui déconstruit la vérité. Mais les présentateurs subventionnés ont-ils le choix, hormis Pascal Praud (C-News) qui s’octroie des libertés avec la police de la pensée unique ? Merci. Bien à vous
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je suis curieux de savoir comment se terminera l’enquête sur le décès du ministre de l’intérieur ukrainien et du crash de l’hélicoptère
Je suis sûr qu’on ne saura jamais la vérité
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Et que sous-entendez vous au juste ?
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qu’il y a des problèmes de politique intérieure en Ukraine
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Il y a surtout des problèmes de politique extérieure.
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Ils auraient pu titrer :
« Les missiles russes contre des moulins à vent »
Don Quichotte aura enfin sa revanche, par procuration ?
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https://www.20min.ch/fr/story/serie-de-demissions-a-kiev-apres-des-scandales-de-corruption-522131609965
Cascade de démissions à Kiev après un scandale de corruption
L’affaire de corruption présumée autour des approvisionnements de l’armée a engendré une vague de limogeages et démissions de plusieurs hauts responsables ukrainiens.
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