Tour à tour, le musée du Louvre puis le musée Carnavalet ont annoncé un recul de la présence des chiffres romains dans la présentation de leurs œuvres. Louis XIV peut ainsi être rebaptisé Louis 14, et le siècle des Lumières ne plus être désigné comme le XVIIIe mais comme le 18e. Cette « simplification » est destinée aux visiteurs qui éprouvent des difficultés à déchiffrer la numération romaine.
Ce choix part certainement d’une bonne intention mais n’en constitue pas moins une régression préjudiciable pour le public concerné. Il convient donc d’appeler ces musées à rechercher une meilleure solution pour l’accès de tous aux œuvres de leurs collections. Les raisons d’un tel appel sont à l’opposé d’une vision élitiste de la culture ou d’un conservatisme de principe.
Les chiffres romains ne sont pas une poussiéreuse relique juste bonne à orner les siècles, les rois, les actes d’une pièce de théâtre et les mouvements dans une partition de musique classique. Ils sont au contraire une manière très actuelle de numéroter quantité de choses de notre quotidien, qu’il s’agisse des heures sur le cadran de bien des horloges (par exemple celle qui trône gare de Lyon), des éditions successives des Jeux olympiques et des congrès de certaines organisations (comme l’Internationale Socialiste), ou encore des titres de notre Constitution. L’année de production d’un film est fréquemment mentionnée en chiffres romains dans son générique, tout comme la date de construction d’un bâtiment. Les épisodes de la franchise Star Wars sont désignés de I à IX, de même que les versions de Grand Theft Auto (de I à V), l’un des jeux vidéos les plus vendus dans le monde. Et qui peut ignorer que l’équipe de nos meilleurs rugbymen nationaux n’est autre que le « XV de France » ?
Par quelque bout qu’on le prenne, renoncer à donner au public en difficulté l’accès à ce système d’écriture revient donc à céder à une facilité qui ne lui rendra pas service.
La numération romaine serait-elle trop compliquée ? Il ne sera pas nécessaire ici d’argumenter sur le fait que complexité est souvent synonyme de richesse car non, la numération romaine n’est pas si difficile — ou alors il convient d’aviser sans délai les producteurs de la saga Twilight qu’ils ont gravement surévalué les capacités cognitives de leurs dizaines de millions de spectateurs en numérotant les épisodes de I à V plutôt que de 1 à 5.
Pour ce qu’on en sait, ni le Louvre ni le Carnavalet n’ont consulté de spécialistes de l’enseignement des mathématiques avant de prendre leur décision. S’ils l’avaient fait, il leur aurait été répondu que les concepts impliqués sont accessibles dès l’école primaire, et d’un temps d’assimilation bien moindre que quantité d’autres abordés lors d’une visite au musée. De plus, une fois acquise, la numération romaine peut être réinvestie en cours d’histoire par un élève tout au long de son cursus au travers de l’écriture des siècles, des millénaires, des noms des souverains ou encore des années du calendrier républicain.
Ces questions de chiffres seraient-elles trop éloignées de ce qui concerne un musée ? Ne faisons pas l’injure aux responsables du Louvre ou du Carnavalet de les croire ignorants du rôle éminent du nombre chez tant d’artistes de premier plan tels que Leonard de Vinci ou Leon Battista Alberti. Or les didacticiens des mathématiques nous enseignent qu’on comprend mieux un concept si l’on en connaît plusieurs représentations (des « registres »). Savoir que 14 et XIV sont deux écritures d’un même nombre aide à comprendre que ce dernier ne se réduit pas à une succession de signes. La numération romaine peut donc faciliter la distinction entre la chose et le nom de la chose, et ainsi constituer une aide pour ceux qui sont en difficulté avec les nombres. En passant, il plaira aux amateurs de science et de technique que les chiffres romains puissent ainsi indirectement contribuer à désamorcer par avance les écueils dans l’apprentissage d’autres systèmes de numération tels que le binaire (les 0 et les 1 de nos ordinateurs), l’hexadécimal (employé en électronique) ou encore l’octal (celui des transpondeurs de l’aviation). La numération romaine favorise aussi la distinction entre cardinaux (un, deux, trois…) et ordinaux (premier, deuxième, troisième…), la typographie réservant à ces derniers de pouvoir s’écrire en chiffres romains. C’est ainsi que Louis XIV désigne Louis le quatorzième, et que XV de France… est une écriture incorrecte, mais hautement significative par son rapprochement subliminal entre rugbymen et gladiateurs.
Tout à la fois auxiliaire de notre modernité, élément de culture et d’histoire ainsi que registre alternatif pour représenter les nombres, la numération romaine mérite mieux que d’être passée par pertes et profits dans la pédagogie muséale à destination des publics en difficulté. Puissent nos musées en reprendre conscience aussi vite que possible.
Éditorial paru dans Valeurs Actuelles n°4400 (25/03/2021).
Pour mémoire, un véritable bijou, » l’histoire universelle des chiffres » de Georges Ifrah.
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Je suis en lutte sur Twitter avec des génies verts concernant votre précieux article https://static.climato-realistes.fr/2020/10/Transport-aerien-et-CO2-Par-Thierry-PIOU-septembre-2020.pdf leur sens de l’épistémologie est stupéfiante… en gros, est vrai ce qui vient d’un ami. Peu importent les données donc ils ont classé votre article sans le lire dans la case non crédible
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On a supprimé le passé simple et émasculé (mort au vieux mâle blanc) le texte dans les dernières éditions du Club des Cinq pour les mêmes ineptes raisons.
https://www.livreshebdo.fr/article/le-club-des-cinq-et-les-traitres-immondes
Ce qui n’a pas donné les résultats escomptés.
https://www.lefigaro.fr/livres/le-club-des-cinq-les-versions-politiquement-correctes-se-vendent-mal-20210210
Le ministre d’Henri bâton vé se trompait : les deux mamelles de la France sont inculture et anachronisme.
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Le chiffrage « Romain » ne devient difficile qu’à partir de XL et XC … que personne n’ose 🙂 http://villemin.gerard.free.fr/TABLES/Romains.htm
et le fait que la longueur du nombre varie entre 2 nombres successifs est de la pure gymnastique qui peut se faire sur des tas de sujets plus « actuels » dans la vie courante, comme les règles de trois ou les raisonnements « il existe au moins » Vs « Tout » ou les arrondis ou les notions d’ordre de grandeur qui ne sont pas du tout maitrisés dans la population même bac + 5 .
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Orwellien.
Ce n’est pas une lubie de haut fonctionnaire et cela n’a rien d’anecdotique, ce choix de suppression des « croix vés bâtons » est inscrit dans une logique plus générale de relativisation de l’histoire.
La quasi disparition du latin a l’école en est un autre exemple.
Pour un certain nombre d’intellectuels, l’histoire et les racines d’un pays sont un support possible au régionalisme, au nationalisme, à la bourgeoisie, à l’élitisme…
Jetez donc un coup d’œil aux programmes d’enseignement de la Russie soviétique de 1920, vous y trouverez tous les sources de certaines de nos réformes de l’Education Nationale. Le but de l’école n’était pas d’instruire mais de produire un « Homme Nouveau », seule était enseignée l’histoire du Parti…
Le plus intéressant étant de constater que l’URSS a vite corrigé le tir tant c’était contreproductif…
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Je suis d’accord avec Benoît. Les « chiffres » romains peuvent être appris à l’école primaire. C’est un jeu. Pourquoi les maths ne sont-elles pas d’abord considérées comme des jeux? Cela permettrait de donner le goût des maths et du calcul à de nombreuses personnes qui l’ont perdu à cause de la peur et de la pression exercée sur les élèves dès lors qu’ils sont « faibles » en math. De toute manière, la lecture des chiffres romains (ne faudrait-il pas dire les nombres?) est la seule chose que l’on puisse faire avec eux. Essayez de faire des calculs, vous m’en direz des nouvelles.Il n’y a pas de zéro, même s’il y a des ressemblances avec la périodicité décimale.
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Les chiffres romains sont utilisés depuis les Gallo-Romains vers -50 av J.C. et les chiffres Arabes sont apparus en occident vers l’an 900 après J.C. ,donc aujourd’hui au XXIe siècle il faut les conserver et ne rien céder . C’est nôtre Culture !
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Dérive de l’égalitarisme (voir définition canadienne), on simplifie pour rendre accessible alors qu’on devrait éduquer pour donner accès à la complexité. Abrutir le citoyen n’est qu’un moyen de le dominer en l’infantilisant et en le privant de toute capacité à maîtriser le complexe qui est la caractéristique du monde.
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Bonjour Benoît, merci d’avoir attirer notre attention à ce sujet. Décidemment rien ne les arrête, j’étais bien loin de penser que les mondialistes oseraient s’attaquer aussi aux chiffres romains. Et après on nous explique que tout est normal, le faisceau d’indice convergeant est plus que dépassé. Dans un scénario très improbable, ils pourraient aussi s’en prendre au vénérable C02 par exemple, dans les années à venir, mais c’est une pure fiction bien entendu. Merci. Bien à toi. JR
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