Les trois visages de l’arrêt Baratin

par Rémy Prud’homme.

Le 3 février 2021, le Tribunal administratif de Paris, a rendu l’arrêt Baratin, du nom de la rapporteur de l’ « affaire du siècle », qui condamne l’Etat pour non-respect de ses obligations relatives à l’environnement. L’Etat doit verser 1 euro de dommages et intérêts à chacune des quatre ONG qui l’ont attaqué à ce sujet (Oxfam France, Greenpeace, Fondation pour la Nature et l’Homme, et Notre Affaire à Tous). Le texte de Mme Baratin est un peu long (40 pages), mais riche d’enseignements sur l’évolution de la justice, qui prend ici les visages du théâtre comique, de la politique engagée, et de la science frelatée.

            On est en plein théatre. On joue à la Justice. Au cours des années passées, l’Etat a signé toutes sortes de textes, d’engagements, de traités, de promesses, dans le domaine de l’environnement. Prenait-il au sérieux sa parole, ou achetait-il seulement quelques voix des tenants de la nouvelle religion écologiste? On ne sait. Ce qui est sûr, c’est que la plupart de ces engagements étaient intenables. Ils n’ont donc pas été tenus. Les ONG militantes ont beau jeu de s’en plaindre. Elles ont beaucoup à y gagner : les applaudissements de leurs coreligionnaires, et leurs deniers. La Justice ne peut que leur donner raison, et constater que l’Etat s’est piégé lui-même. Elle condamne donc l’Etat pour promesses non tenues. Mais en même temps, elle le condamne à payer … quatre euros. Le contraste entre la gravité du crime (d’écocide) et la légèreté de la sanction est si grand qu’il en est délicieusement comique. Comme dit Shakespeare, « le monde n’est qu’une scène, tous les hommes et toutes les femmes sont seulement des acteurs ».

            On est aussi dans une affaire politique. Les deux plus importantes des ONG plaignantes (Oxfam France et Greenpeace France) sont des filiales françaises de multinationales, engagées politiquement, et dirigées par de pur(e)s politicien(e)s : Cécile Duflot, ancienne ministre, et Jean-François Julliard, ancien homme fort de la mairie de Paris. Quant à la Fondation pour la Nature et l’Homme (dans cet ordre), le tribunal cite l’article 1er de ses statuts : « contribuer à une métamorphose de nos sociétés par le changement des comportements individuels et collectifs ». On a là un objectif purement politique, tout-à-fait légitime du reste. Ce qui est remarquable, c’est que le tribunal s’appuie explicitement sur cette citation pour considérer que l’ONG est « recevable à présenter des conclusions en réparation du préjudice écologique ». Clausewitz disait que la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Vieux jeu. Le Tribunal administratif pense que la Justice est la continuation de la politique par d’autres moyens.

            La Justice enfin prend parti sur la science. L’essentiel de l’arrêt est consacré à la présentation et à l’endossement de la doxa officielle : (i) « Il résulte de l’instruction (sic) […] que l’augmentation constante de la température globale moyenne de la terre […] est due principalement aux émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Cette évolution  «  a déjà provoqué » : (ii) l’augmentation en fréquence et en gravité des phénomènes climatiques extrêmes, (iii) des conséquences graves et irréversibles sur les activités humaines telles que la pêche et les cultures, et (iv) des risques croissants d’insécurité alimentaire. On croirait entendre Greta Thunberg, cette indiscutable autorité scientifique. En réalité, le point (i) fait l’objet de débats ; le point (ii) est carrément inexact : même le GIEC le reconnaît ; les points (iii) et (iv) sont contredits par le fait facilement vérifiable dans les statistiques de la FAO que la production agricole et alimentaire par habitant dans le monde n’a jamais été aussi abondante (même si elle reste insuffisante). Il est déjà inquiétant de voir les juges dire le bien en matière de politique. Il l’est au moins autant, et peut-être même davantage, de les voir dire le vrai en matière de science.

            D’autant plus que les auteurs de l’arrêt ne semblent pas très à l’aise avec les chiffres, qui jouent un rôle important en science. On se limitera à deux exemples. Au début du paragraphe 16, on lit : « l’augmentation de la température atteint aujourd’hui 1°C par rapport à 1880 » (ce qui est exact). A la fin du même paragraphe, on lit :  « l’augmentation de la température est en 2000-2009 de 1,14°C par rapport à 1960-1990 ». En bonne logique, cela veut dire qu’entre 1980 et 1960-1990, la température du globe a diminué de 0,14°C, ce qui est inexact, et contredit totalement la thèse soutenue. Ailleurs, on lit : « la part du transport ferroviaire dans le fret est passée de 25% à 10% de 2001 à 2017 » et « les investissements publics dans les infrastructures ferroviaires ont diminué ». Un rapide coup d’œil au rapport de la Commission des comptes transports 2018 montre que la part du fret ferroviaire en 2001 était de 14% (pas de 25%), et que les investissements dans le ferroviaire sont passés de 1,3 milliards en 2001 à 4,9 milliards en 2018, ce qui est une curieuse forme de « diminution ». Bah, ce ne sont là que des micro bavures, auxquelles on s’expose lorsque l’on fait davantage confiance à Oxfam-France qu’à la Commission des comptes transport.

            Ce procès n’est peut-être pas l’affaire du siècle, mais il marque à coup sûr un pas en avant dans la juridicialisation – à l’américaine – de notre pays.

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31 réflexions au sujet de « Les trois visages de l’arrêt Baratin »

  1. Ubuesque : Qui évoque le grotesque du père Ubu par un despotisme, une cruauté, un cynisme, une forfanterie d’un caractère outrancier ou par des petitesses dérisoires. (CNRTL)

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  2. L’évolution de nos sociétés occidentales qui voient s’affaiblir le poids de la délibération souveraine et démocratique dans la conduite des affaires publiques est vraiment préoccupante. La décision du TA de Paris en est un des symptômes et il n’y a probablement pas lieu de s’en réjouir.
    D’abord parce qu’elle est aussi le reflet des dysfonctionnements de notre système républicain qui a vu disparaître le système de contrôle législatif, l’Assemblée nationale ayant été transformée par le système Macron en chambre d’enregistrement assez ridicule.
    Ensuite, parce qu’incontestablement les taux d’abstention aux élections, qui deviennent parfois vertigineux, témoignent d’un désengagement vis-à-vis de la chose publique. Et la nature ayant horreur du vide, celui-ci commence à être rempli d’un côté par le juge, de l’autre par des activistes minoritaires.
    Dans les deux cas, cela ouvre la voie à l’arbitraire et ce n’est guère rassurant.
    https://www.vududroit.com/2021/02/laffaire-du-siecle-ce-gouvernement-des-juges-qui-vient/

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    • Je me pose la question de l’impact d’une impossibilité d’alternance à mi-mandat : les députés dépendent totalement du Président, éliminant de fait leur indépendance.
      Les tentatives d’imposer des Conseils de Citoyens est une autre grave dérive.
      Les politique n’ont plus les envergures nécessaires pour défier les minorités agissantes : incapable d’agir frontalement (comme Reagan ou Tatcher), ils cherchent des compromis minables.

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      • Il faudrait surtout élire l’Assemblée nationale avant les présidentielles.
        Quant aux conseils de citoyen, nous avons vu que c’étaient des pantalonnades.

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  3. ainsi donc la justice s’est prononcée sur le volet scientifique de l’affaire?
    je donnerais 100 balles pour interroger la juge Baratin(ce nom en lui-même est un gag?) sur son explication, sur sa compréhension de l’effet de serre?
    Imaginons qu’elle lise ce blog, je la supplie de venir ici nous faire un exposé pour nous convaincre qu’elle a jugé en parfaite connaissance du sujet, les occasions de se bidonner sont tellement rares

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  4. Si ce procès est caricatural, je vous le concède, il montre surtout l’incapacité de l’humanité d’une part à réaliser l’ampleur du problème, et surtout d’y remédier. Ceci étant à coup sûr une tâche ardue. Les états vont probablement se contenter de mettre en place des plans de prévention, voire même d’avertissements et d’adaptation aux dégâts plus importants et plus fréquents. En gros évacuer les sinistrés, déclarer la ville ou la région en catastrophe naturelle pour que les assurances remboursent ces dégâts. Mais les blocages viennent aussi du fait que ce sont les mêmes pays qui morflent le plus, en Asie en particulier, et parmi les plus pauvres. Et dans d’autres pays, comme chez nous, c’est souvent aussi les mêmes régions, les mêmes populations qui en sont victimes. Et ceux qui sont loin des sinistres, s’en moquent bien, ou du moins ne sont pas prêts à admettre ces conséquences et à changer quoi que ce soit. « La liberté avant tout. Après moi le déluge, c’est la nature, on ne peut rien contre elle, il y en a toujours eu, c’est pas ma faute, etc… » Alors les états, et les politiques, ils se déplacent sur les lieux, et jouent les éplorés. Puis ils rentrent dans leur pavillon de Neuilly. Fin de partie. Jusqu’où les choses pourront aller, ça on ne sait pas, mais ce n’est qu’un début…Les ONG n’ont pas fini de dénoncer ou d’intenter des procès…sans suite et sans effets…

    https://www.google.com/amp/s/www.franceinter.fr/amp/environnement/les-catastrophes-naturelles-ont-double-en-20-ans-sous-l-effet-du-rechauffement-climatique

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    • En ouvrant le lien ci-dessus on découvre une photo des dégâts du tsunami de 2004 censée illustrer le doublement des catastrophes naturelles provoquées par le réchauffement climatique. Erreur du documentaliste, incompétence du journaliste ou tentative de charger la barque du RCA ?
      Je sais bien qu’entre bêtise et complot, l’hypothèse de la bêtise est, de loin, toujours la plus probable.
      Si c’est une bêtise, notre journaliste est excusable: il a peut-être été marqué par les propos de notre Président en 2015 au cours de sa visite aux Philippines…

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    • Et pourtant, c’est bien « l’adpatation » pour laquelle il faudrait faire porter la quasi totalité des efforts financiers, humains et technologiques pour faire face aux conséquences des changements climatiques (au pluriel !) qui auront lieu de toutes façons dans les décennies à venir. (dans quels sens… seule Gaïa le sait !)

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    • @Zimba
      Il me semble que vous suivez régulièrement ce blog. Vous avez peut-être raté le post « Ce qui est rare est cher » publié ici-même le 11 novembre 2020. Vous y apprendrez qursidés votre article présente des conclusions parfaitement fausses. En réalité, il n’y a strictement aucune tendance à l’augmentation des événements meteo extrêmes et autres catastrophes naturelles. Les publications qui le prouvent sont plus nombreuses chaque année.

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    • La grande sécheresse mondiale de 1876 à 1878 avec absence de mousson en Inde et la sécheresse de l’hémisphère nord de 1920 à 1922 , là les plus pauvres et les plus fragiles sont morts ! L’ampleur de ces graves problèmes ont dû être attribués aux décideurs qui n’avaient pas prévus ….
      Nous sommes sortis du Petit Âge Glacière ,celà veut dire que nous sommes entrés dans autre chose , ce climat actuel différent pourra être décrié à l’infini et ce sera toujours exact , les ONG boivent aux trous du tonneau des Danaïdes !

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    • J’aimerais bien l’admettre croyez le M.Catier, d’autant que j’apprécie vos articles, même si j’ai des critiques, votre sérieux, votre tolérance et j’en suis sûr, votre honnêteté. Mais j’ai vécu assez de décennies pour connaitre entre les années 60-70 de ma jeunesse jusqu’aux vingt dernières, suffisamment de temps, de choses, de changements, de différences réelles, toujours avec la même passion pour nos Pyrénées, pour persister et donner mon avis. Combien j’aimerais me tromper. Mais au fil des années, les choses se précisent, mauvaises, et se répètent. Ici et ailleurs. Bonne soirée.

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      • Oui, j’ai vécu les memes décennies je suppose, et j’ai entendu vos memes litanies, infatigables que vous êtes, a répéter la meme chose, encore et encore, de manière a le tranformer en verité.
        Vos enfants ne verront plus la neige… blabla….. blabla…….nous allons disparaitre, bla bla blabla.. tout va mal… bla bla bla bla….l’humanite est en danger, blabla blabla…vous verrez quand vous serez en réanimation a votre tour… blabla.. blabla… on se croirait dans un album de Tintin, quand il rencontre le prophète.
        En fait, nos enfants ne peuvent plus aller a la neige,mais pas pour les memes raisons. Mais heureusement la nature est bien faite, et c’est désormais la neige qui vient a eux.

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  5. Cette décision du TA de Paris est dans la droite ligne de la décision du Conseil d’Etat du 19 novembre 2020 (commune de Grande-Synthe, à laquelle se sont associées des « interventions » diverses), à laquelle j’engage toute personne intéressée par le contentieux climatique à se reporter :
    https://www.conseil-etat.fr/actualites/actualites/emissions-de-gaz-a-effet-de-serre-le-gouvernement-doit-justifier-sous-3-mois-que-la-trajectoire-de-reduction-a-horizon-2030-pourra-etre-respectee
    (noter au passage que le délai enjoint par le CE au gouvernement expire le 19 février 2021…), c’est pour bientôt.
    Cette décision a elle-même un certain nombre de précédents en Europe (par exemple l’affaire Urgenda aux Pays-Bas).
    L’argumentation du CE sur l’admission de l’« intérêt à agir » de la commune demanderesse suggère que n’importe quelle entité peut se prévaloir de risques hypothétiques autant que vagues pour formuler des demandes analogues ou intervenir dans les procédures. La boîte de Pandore est grande ouverte (dans ses conclusions, non publiées, le rapporteur Hoynck parlait de « portes » du château de Barbe-Bleue). Ainsi les (inévitables) requérants à venir pourront se prévaloir de ce précédent. C’est ce qui vient de se produire.
    Ces requérants pourront aussi s’appuyer sur le texte de la décision du CE, qui comporte les pétitions de principe, la revue exhaustive et l’analyse détaillée des textes législatifs et réglementaires, en somme une sorte de vadémécum du parfait plaignant.
    A l’évidence, la France s’est de sa propre volonté dotée pour une longue durée d’un carcan légal comportant des engagements chiffrés d’une précision ridicule. Ces objectifs ne seront évidemment pas respectés, ce que le CE a évidemment subodoré.
    On n’en a pas fini.
    Cordialement à tous
    MD

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  6. Un bon article de la part de Régis de Castelnau:
    https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/laffaire-du-siecle-ce-jugement-sent-le-gouvernement-des-juges-a-plein-nez
    Ca va dans le sens de ce ce qu’il dit dans un livre récemment publié: https://livre.fnac.com/a14879860/Regis-de-Castelnau-Une-Justice-politique
    On glisse tout doucement vers une judiciarisation de la vie politique et ce n’est pas très réjouissant

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  7. La crise du coronavirus constitue un exercice grandeur nature de totalitarisme basé sur des « expertises » de sommités du monde médical. Je crains fort que lorsque les réchauffistes prendront le pouvoir un totalitarisme climatique s’installera. Ainsi ceux qui brûleront des substances interdites dans leur cheminée (bois, charbon, mazout) se verront trahis par les fumées et se trouveront en flagrant délit de crime climatique. Les flics, matraque en main, forceront leur porte et les emmèneront manu militari au poste pour une garde à vue avant déferrement devant un juge…

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  8. Cette dame Baratin, apparemment une demoiselle, ne semble pas avoir trouvé un époux qui aurait atténué l’handicap patronymique qui affuble ses arrêtés d’une certaine dimension comique ! Mais peut-être est-ce voulu de la part de l’institution judiciaire de lui attribuer ce genre de mission, juste pour rigoler, le procureur est comme le commissaire, bon enfant…

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  9. RCA ne signifierait-il pas Refroidissement Climatique Aux tropiques, au vu des températures annoncées vers chez moi ces prochains jours.
    Une nouvelle chance pour un black-out qui remettra les idées en place.

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    • Bonjour Michel, heureusement à la campagne nous avons des groupes électrogènes qui fonctionnent aux bons carburants fossiles, 100 % d’origine naturel ! Les escrologistes vont-ils tenter d’interdire la vente des carburants ? comme ils l’ont fait avec la vente de véhicule à moteur thermique et l’interdiction de recherche pétrolière dans notre sous-sol. Heureusement les élections vont passer par là, en espérant un retour à la raison.
      Michel Rocard citait « Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare. » Mais pour cette affaire, nous n’en sommes vraiment pas certain…!
      Cela étant dit, ne peut-on pas lancer un financement afin de porter plainte pour escroquerie sous prétexte climatique et désinformation sur le C02 ? Résistons. Merci. Bien à vous. JR

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      • Les groupes électrogènes diesel sont les meilleurs. On peut y mettre de l’huile de friture, filtrée. Voire rallonger le gazole avec un peu d’huile de colza.
        Voir si vous avez encore un chauffage au fuel, profitez en pour tirer un peu de fuel de la cuve.

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    • De par chez nous, nous avons des bâtiments anciens, qui font le charme de la ville. Ils sont impossibles à isoler par l’extérieur. Comment feront les habitants s’il n’y a pas de gaz, ni électricité? Ils éviteront et iront dans de nouveaux quartiers.
      On assistera à la démolition de ces maisons devenues inutiles dans quelques 20 ans. Du coup, le charme des cités disparaîtra. Il ne restera que les banlieues soviétoïdes. Les gens aisés auront toujours les moyens de se payer la belle villa avec une isolation au top, un R délirant de 6 ou 10.

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