Les mystères de l’éolien en mer

par Rémy Prud’homme.

L’histoire récente de l’éolien en mer est un vrai roman, un roman policier, une intrigue, avec politiciens bavards, financiers internationaux, pêcheurs furieux, oiseaux menacés – et citoyens qui payent. Une  histoire à plus de 20 milliards d’euros.

Il y a quelques années, l’éolien en mer était présenté par tous les experts et décideurs comme la source d’électricité la plus coûteuse. Aujourd’hui, l’éolien en mer est présenté (par les mêmes experts et les mêmes décideurs) comme la moins coûteuse des électricités. Ce changement miraculeux soulève toutes sortes d’interrogations.

Précisons. En 2012-2013, l’État s’engage pour l’implantation de 6 parcs éoliens en mer (d’une puissance de 3 GW) sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique. (Saluons en passant le choix du mot « parc » aux connotations bucoliques pour décrire ces régiments de structures en béton et en métal : dans chaque financier, il y a un poète caché.) L’État garantit alors aux multinationales retenues l’achat de toute leur production au prix d’environ 200 €/MWh. Ce prix est censé couvrir leurs coûts et leur assurer une marge bénéficiaire raisonnable. Pour diverses raisons, notamment juridiques (l’État avait « vendu » ces parcs sans s’assurer qu’il en avait bien le droit), ces éoliennes ne sont pas été érigées. En attendant, les coûts projetés diminuent. En 2018, ils sont clairement devenus inférieurs à 200 €/MWh, et l’on s’aperçoit que ce prix va engendrer ce que la CRE, le régulateur de l’énergie, appelle une « rémunération excessive » des promoteurs de l’éolien. Sagement, le gouvernement négocie un prix d’achat plus bas, d’environ 150 €/MWh. En 2019, le Gouvernement lance un appel d’offre pour un septième parc éolien, près de Dunkerque. Il en résulte un prix d’achat d’environ 50 €/MWh. Les prix d’achat, qui avaient diminué de 25% entre 2013 et 2018, ont donc baissé de 66% entre 2018 et 2019. Deux questions se posent.

Comment est-ce possible ? Ces prix sont censés refléter les coûts de production de l’électricité éolienne (en mer). Ils résultent d’appels d’offre concurrentiels qui devraient, en principe, révéler le coût des technologies les moins coûteuses, associées à des marges bénéficiaires modestes. Certes, le progrès technique, et les économies d’échelles (plus c’est gros, moins ça coûte), engendrent des augmentations d’efficacité, et donc des baisses de coûts. Mais moins 66% en un an, ou même moins 75% en 6 ans, constituent des baisses de coûts plutôt inhabituelles. Se peut-il que la fameuse concurrence des appels d’offre ait mal fonctionné ? Cela s’est déjà vu. Est-il concevable que les lauréats de l’appel d’offre de Dunkerque aient systématiquement sous-estimé leurs coûts pour emporter l’affaire ? Ce sont des choses qui arrivent. On attend le Sherlock Holmes qui résoudra cette énigme.

Plus troublante et plus actuelle est la deuxième question. D’un côté, le Gouvernement affirme que l’on sait maintenant construire (à Dunkerque) des éoliennes en mer qui produisent de l’électricité à moins de 50 €/MWh. D’un autre côté, il patronne dans pas moins de six sites la construction d’éoliennes qui vont produire de l’électricité que nous allons acheter 150 €/MWh. Cela revient à payer 150 ce que l’on pourrait avoir pour 50 : une bien mauvaise affaire. Il est facile d’estimer le montant de ce cadeau aux promoteurs éoliens, montant qui sera pris dans la poche des Français : 1 milliard d’euros par an, 20 milliards en vingt ans (3 GW x 8760 h/an x 40% des heures de l’année x 100 €/MWh x 20 années = 21 G€). Avec une méthodologie différente, la CRE arrive à une évaluation un peu plus élevée (25 milliards). Pourquoi va-t-on jeter tant d’argent par les fenêtres ? Parce que les promoteurs éoliens le méritent bien ? Parce qu’il est difficile d’arrêter une machine administrative qui roule ? Mais les travaux n’ont même pas encore démarré. Parce que retarder l’inauguration aurait un coût politique élevé ? Peut-être qu’il n’y a pas cadeau, pas de crime, et que le 50 €/MWh est une blague ? Au secours, Hercule Poirot, venez éclairer ce mystère.

L’économie de l’éolien en mer est une économie planifiée, de type Gosplan. Toutes les décisions  relatives aux quantités, aux prix, aux localisations, etc. sont à la main de très visibles politiciens, pas à la main invisible du marché. En théorie, il y a d’excellents arguments pour justifier ce choix. Mais en pratique, il donne ici des résultats déplorables. Six parcs vont être construits. Ou bien ils le seront avec la technologie d’hier, et on aura un lamentable gaspillage de 20 milliards ; ou bien ils le seront avec la technologie d’aujourd’hui, et on aura un injustifiable cadeau (aux promoteurs) de 20 milliards.  

L’enjeu de ces 20 milliards est-il considérable ? Pas du tout. La production d’électricité annuelle attendue de ces 6 parcs éoliens est de 10 TWh par an, 2% de la production française. C’est nettement moins que que la production annuelle (12 TWh) des deux centrales de Fessenheim qui fabriquent de l’électricité à un coût de 25 €/MWh, qui n’ont jamais été subventionnées, et que l’on va fermer pour gagner quelques votes écologistes. Cette électricité éolienne est-elle plus décarbonée que l’électricité nucléaire qu’elle remplace ? Beaucoup le clament haut et fort. Ils se trompent, et nous trompent, totalement : les deux rejettent zéro CO2. Mais quand on aime, ou quand on hait, on ne compte pas.

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12 réflexions au sujet de « Les mystères de l’éolien en mer »

  1. Chiffres effarants. On ne parle pas souvent de la durée de vie des éoliennes en mer. J’ai perdu la référence qui mentionnait que le Danemark donnait une durée de 7 ans. Et ce pays a une certaine expérience de ces installations.

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  2. Avec les conditions météo actuelles (anticyclone sur une grande moitié nord de la France), la production éolienne plafonne à 3GW (pour 16GW de puissance totale, soit un facteur de charge inférieur à 20%) et comme on a enfin des températures hivernales, la consommation atteint 82GW (ce qui reste loin des 90 à 100GW que l’on atteint lors des vagues de froid) et on importe de l’électricité (3,7GW à 7h30). Précisons que si les « parcs » éoliens dont il est question dans cet article étaient déjà opérationnels, la situation ne serait guère différente vu qu’ils ne produiraient quasiment rien (l’anticyclone actuel est centré sur la manche).
    Un grand merci à nos politiciens environnementeurs (comme des arracheurs de dents) pour cette politique énergétique au rapport efficacité/coût proche de zéro.

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  3. Ne conviendrait-il pas d’évoquer aussi le coût des travaux indispensables qu’impose à RTE l’acheminement spécifique du courant qui sera produit par les éoliennes en mer, qui seront in fine payés par les consommateurs?

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  4. Oui l’énergie éolienne est décarbonnée. Mais comme c’est une énergie intermittente et non stockable, il faudra compenser cette intermittence par une énergie fossile, donc seule pilotable,
    Plus on construira d’éoliennes, plus on rejettera de CO2 !
    Les escrolos n’ont même plus l’argument de la « décarbonation » éolienne.
    Mais bon, apparemment, ça ne les dérangent pas ! Tant mieux pour eux !
    Climatiquement vôtre. JEAN

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  5. Et passons sur la chimérique liaison haute tension entre Brest et l’Irlande (600 km..) devant nous permettre d’importer la fantastique électricité éolienne produite si loin, en passant sous la mer, tout cela sous la présidence de François Brottes, nommé à la tête de RTE par François Hollande, lequel Brottes négocia pour le parti socialiste, sur un coin de table, avec la nébuleuse écologique son ralliement avant les législatives de 2012, et tu me fermes Fessenheim, et je te laisse cette circonscription… Brottes n’a aucune qualification dans les questions énergétiques, aucun diplôme fut-ce du niveau Castors Juniors, seulement le passé d’avoir été un vague animateur culturel, on est accablé que pareille incompétence soit grassement payée (400 000 €/an) et décisionnelle dans ces complexes questions d’où a été bannie la raison scientifique…

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    • Vous êtes vache avec les castors juniors. Ils sont débrouillards, plein de bon sens et ne cherchent qu’à apprendre.
      Je doute que ce soit le cas de ce Monsieur….
      Je me rends compte que certains partis politiques ont mis le pays en coupe réglée, au service de leurs intérêts.

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  6. Pour Jean-Marc Jancovici, c’est de l’argent, qui, si on veut vraiment réduire nos émissions de CO2, serait plus efficace en aide à destination des ménages modestes (dont certains Gilets jaunes…) pour le remplacement des chauffages au fuel par des pompes à chaleur.

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    • Mais pourquoi veut-il claquer mes impôts à remplacer des chauffages fioul par des pompes à chaleur ??
      Il faut avoir l’esprit drôlement déformé pour imaginer que ça va régler quoi que ce soit, du climat ou de la vie des ménages modestes.

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      • @murps
        Si j’ai bien compris l’aveu de Jancovici à la commission parlementaire de julien Aubert, ce n’est pas une problématique climatique qui est au cœur des motivations. On est menacé par le Peak oil, notre indépendance énergétique voudrait qu’on se passe autant que possible de fioul et les pompes à chaleurs contribueraient à consolider l’autonomie énergétique de nos bâtiments.

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  7. pourquoi on ne paie pas les parcs d’hier au prix d’aujourd’hui ? je ne suis pas Sherlok Holmes, mais la réponse est malheureusement très simple. A l’instar du développement de toutes les autres énergies et industrie, le coût de l’éolien diminue à mesure que les MW installés se multiplient, c’est une loi économique incontestée. Cette diminution connaît une accélération quand des volumes jusque là timides s’accroissent rapidement : la supply chain s’organise, les fournisseurs produisent en masse, on construit des usines dédiées … bref, les prix baisse. En parallèle, la technologie devient plus mature, il y a du retour d’expérience et les risques des projets sont plus faibles, donc les provisions pour risques (qui sont très élevées dans le calcul des coûts de production) diminuent, ainsi que les côuts de financement et la rentabilité attendue.
    En France, un projet met en moyenne 5 à 7 ans à obtenir ses autorisations administratives (le fameux millefeuilles français) et à purger les recours qui sont malheureusement systématiques sur tous les projets. Ensuite, la durée des travaux est de 3 ans environs. Enfin, pour développer son projet et calculer son prix, le développeur a besoin d’environ 3 ans. Bref, à la fin, un projet qui a été calculé en année N n’est en service qu’à l’année N+10 (au mieux). C’est juste ^pour ça que des parcs développés il y a 10 ans et dont les travaux vont à peine commencer ne peuvent pas être au prix de parcs attribués aujourd’hui qui seront )à l’eau dans 10 ans.

    PS: je suis content que sur ce blog, on commence enfin à reconnaitre le tarif de 50€/MWh pour l’éolien car celui-ci a été largement contesté au préalable…

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