Back to Washington (3) : ce que James Taylor dirait à Julien Aubert

Pardon d’avoir un peu traîné pour ce troisième article sur la conférence de Washington, mais croyez-moi je bosse.

Aujourd’hui, je reviens sur une intéressante analyse politique qu’a présentée James Taylor, qui est membre du Heartland Institute. Il n’y était pas question de science climatique proprement dite, mais plutôt de stratégie politique. Elle offre un élément intéressant de réflexion pour nos trop rares élus qui, tels le député Julien Aubert (LR), tâchent à leur manière de faire entendre une voix différente sur la politique énergétique.

James Taylor n’est pas n’importe qui. Il fut l’une des huit personnes qui, à Paris fin 2015, avaient eu l’honneur d’avoir leur photo placardée sur les murs de la ville à l’approche de la COP21 avec la mention « WANTED » au-dessus. (Il était « coupable » de « crimes climatiques ».) Personne bien sûr n’avait à l’époque relevé que cela constituait un appel à la haine, qui aurait en principe dû faire l’objet d’une enquête. (J’avais à l’époque publié cette réponse d’un autre « Wanted », Chris Horner, après avoir vainement tenté de la faire paraître dans Le Figaro.) C’est à raison me semble-t-il que James Tayor est fier d’avoir ainsi été traité par certains adversaires, en l’occurrence Avaaz. Il a contribué à faire savoir qui ils sont vraiment. Cette affiche est pour lui une médaille.

Dans sa présentation, James Taylor s’est intéressé au résultat des midterms américains de 2018 (plus ou moins l’équivalent de nos élections législatives), selon le prisme de la politique climatique. Pour comprendre son analyse, il faut savoir au préalable qu’en février 2016 s’est créé le Climate Solutions Caucus, une déclinaison du carbocentrisme giécien au sein du Congrès américain. Limiter le réchauffement, prévenir les risques selon une politique économiquement viable, voilà en quelques mots le credo de ce caucus. (Dans ce contexte, le mot signifie un regroupement d’élus qui partagent un même point de vue sur une question donnée — ici le climat selon la perspective du GIEC, donc.)

Ce que ce caucus a de particulier, c’est qu’il est bi-partisan, c’est-à-dire qu’il rassemble des membres de la Chambre des représentants aussi bien démocrates que républicains. Le clivage politique sur la question climatique est pourtant bien plus marqué aux États-Unis que dans un pays comme la France : là-bas, un démocrate est presque toujours carbocentriste alors qu’un républicain est en général climato-réaliste. Toutefois, comme le suggère la tournure de la phrase précédente, les républicains sont moins monochromes sur la question. C’est ce qui a permis au Climate Solutions Caucus, à sa création en 2016, de comporter statutairement autant de représentants des deux partis. Ce n’est plus le cas depuis les midterms, où les démocrates sont majoritaires avec 41 représentants. Tout de même, les républicains y sont encore 22, ce qui n’est pas rien lorsqu’on connaît l’extrême polarisation outre-Atlantique sur le climat.

Dans son exposé, James Taylor s’est posé la question de l’opportunité purement tactique, pour les républicains, d’endosser un discours que l’on pourrait qualifier de « carbocentriste-conservateur ». Dans son analyse, la question n’est donc pas de décider si le climat se détraque ou pas (et dans l’affirmative s’il vaut mieux des solutions « de droite » ou « de gauche » pour y remédier) : seul le positionnement politique y est considéré.

On laissera donc pour un autre jour le débat de savoir si une personnalité politique doit ou non faire passer ses convictions avant son positionnement, pour nous contenter de regarder le caractère électoralement payant ou non, pour un candidat républicain, de tenir des propos du genre : « nous craignons l’évolution du climat causée par l’homme et devons faire ce qu’il faut pour régler le problème, mais nous allons proposer nos propres solutions et non celles des démocrates. »

Vu de loin, un tel discours paraît n’avoir que des avantages, car il devrait permettre de gagner sur les deux tableaux : ne pas s’encombrer du climato-réalisme et des kilos de difficultés qu’il charrie avec lui (hostilité des grands médias, accusations de complotisme, d’indifférence aux générations futures, de discours anti-science…), tout en proposant une offre politique sur la question plus intelligente que celle de la concurrence (ce qui n’est, en l’espèce, souvent pas très difficile).

Selon James Taylor, pourtant, ceux qui ont tenté cette stratégie ont en réalité perdu sur les deux tableaux. Données à l’appui, il lance aux candidats des midterms de 2018 : « Si vous étiez un membre républicain du Climate Solutions Caucus, vous avez probablement perdu. Si vous étiez n’importe quel autre républicain, ou bien un démocrate sortant, vous avez très certainement gagné.« 

Il faudrait étudier un peu en détails cette affirmation — au-delà des chiffres qui la confirment de loin, d’autres phénomènes sont peut-être à l’œuvre. Toujours est-il que l’analyse de James Taylor mérite d’être pris en considération : « Il n’y a pas de taxe carbone républicaine« , assène-t-il. Toute proposition labellisée « conservatrice » pour lutter dans une perspective carbocentriste court toujours le risque de singer l’une ou l’autre de celles déjà proposées par les démocrates écologistes.

Pour les républicains, s’acheter une bonne conscience climatique ne se traduit pas par un gain de voix. Trop marqué à gauche aux États-Unis, le carbocentrisme ne peut pas rallier à un républicain des électeurs qui ont de toute façon décidé depuis bien longtemps que leur bulletin de vote n’irait jamais à droite. De plus, cette stratégie intermédiaire a pour effet de démobiliser la base républicaine, qu’un tel positionnement déboussole. James Taylor plaide donc pour un climato-réalisme assumé de la part des républicains, ne serait-ce que pour des raisons tactiques en terme de lisibilité de l’offre politique.

Il est difficile de ne pas avoir cette analyse en tête en lisant cette tribune récente de Julien Aubert, à peu près le seul de nos députés à avoir le courage de résister au matraquage idéologique écologiste ambiant. Dans cette tribune, il commence par prendre acte d' »une évolution climatique historique » qui constituerait « un vrai défi pour les conditions de vie de l’espèce humaine« , avant d’expliquer que, contrairement aux « millénaristes« , il souhaite trouver des solutions positives, pour une « écologie de droite« .

Julien Aubert, avec toute sa bonne volonté et son évidente sincérité, fait donc très exactement ce que James Taylor déconseille absolument.

Il serait excessif d’en tirer que le député du Vaucluse fait fausse route. En effet, les situations politiques française et américaines sont très différentes. Là-bas, le climato-réalisme constitue depuis longtemps l’offre politique d’un parti de gouvernement — d’ailleurs au pouvoir à l’heure actuelle. Le climato-réalisme explicite y est donc potentiellement davantage « rentable » que dans notre pays, où le moindre propos nuancé sur la question climatique vous classe aussitôt dans le camp des négationnistes aussi bien à droite qu’à gauche de l’échiquier politique. (L’écologisme en général et le carbocentrisme en particulier est le principal sujet qui met systématiquement d’accord aussi bien Le Figaro que Libération ou Le Monde.)

Il est donc compréhensible qu’en France l’offre politique de partis de gouvernement sur la question climatique, même la plus pionnière, ne puisse pas (ou pas encore) se défaire d’un affichage carbocentriste de principe. Pour un temps encore, les cas illustres de Claude Allègre et de Nicolas Sarkozy demeureront les exceptions qui confirment la règle. Une consolation est qu’il se peut qu’une fois atteint le point de bascule les choses se renversent de façon soudaine. Lorsque les génuflexions à l’ordre giécien ne seront bruquement plus perçues comme obligatoires, peut-être notre pays disposera-t-il lui aussi, enfin, d’une véritable offre politique climato-réaliste. Si celle-ci pouvait ne pas venir de partis extrêmistes ou délirants, ce serait encore mieux.

18 réflexions au sujet de « Back to Washington (3) : ce que James Taylor dirait à Julien Aubert »

  1. benoit
    sans entrer dans le jeu politicien pour savoir s’il est plus « rentable » de valoriser le CO2 ou de le vilipender en prônant une transition énergétique décarbonnée, c’est une alternative que nous devons prendre, nous, en considération pour être un jour crédible simplement sur le plan scientifique. Or actuellement les climato réalistes jouent sur les deux tableaux …(voir mon post « alternative »)

    J’aime

    • Ce billet ainsi que la phrase de Benoît dans Back to Washington 2 (« Il y a des changements climatiques mais pas de crise climatique. Il me semble que nous devons utiliser cette idée. ») mettent bien en évidence que le présumé « combat scientifique » est perdu. Depuis le début des années 90 les climato-sceptiques s’évertuent à nier les évidences mais la seule cartouche qui reste disponible aujourd’hui c’est le mantra « ça n’est pas grave ». Du coup la question s’éclairci et ça n’est pas plus mal. « Les droites climato-sceptiques » (oui oui c’est pour faire simple) devront défendre au grand jour de vraies projets sans avoir à se cacher derrière une pseudo position scientifique. Les climato-sceptiques acceptent donc enfin que les débats se portent uniquement sur le front politique et c’est tant mieux pour tout le monde.

      J’aime

      • Vous avez l’air de prendre vos désirs de victoire pour des réalités. Personne chez les climato-réalistes n’a jamais contesté le caractère évolutif du climat. L’enjeu est ici de sortir de l’astuce rhétorique carbocentriste consistant à rendre synonymes « changements » et « catastrophes causées par l’homme ».

        J’aime

      • Je n’ai aucun désir de victoire ; je ne fais que compter les points.
        Les politiques gagnent les élections s’ils portent les idées d’une majorité d’électeurs et Julien Aubert a bien senti qu’il serait peut-être intelligent de repositionner LR sur le sujet du climat, surtout après les résultats des européennes. Je ne serais pas étonné de voir d’autres parti faire le même chemin.
        L’enjeu est effectivement de sortir de l’astuce rhétorique consistant à rendre synonymes «changements» et «catastrophes» mais à partir du moment où la discussion commence par « Oui, nous faisons l’expérience d’une évolution climatique historique. Oui, cette évolution constitue un vrai défi pour les conditions de vie de l’espèce humaine », je vois mal les thèses « l’effet de serre n’existe pas », « le climat se refroidi », « le CO2 vient des océans » perdurer très longtemps au risque de sombrer dans les abysses de la terre plate. Peut-être existe-t-il des Climato-Réalistes « modérés » mais il y en a encore beaucoup (trop?) qui tombent dans les travers que dénonçait Roy Spencer (skeptical arguments that don’t hold water) … il y 5 ans déjà. La version 2.0 des Climato-Réalistes est en gestation.

        J’aime

      • Vous enfoncez les portes que je vous ai ouvertes, ou plus exactement celles qui vous arrangent, pour ensuite empiler des généralités du genre y a des climato-réalistes qui se trompent. Bof.

        J’aime

      • « Nier les evidences »…. quelles evidences.? …les réalistes ne nient pas un certain rechauffement, mais ils mettent en demeure les carbocentristes de prouver leur afffirmation sur la cause anthropique.

        Aimé par 1 personne

  2. Aux US, le débat est encore ouvert, malgré leur virulence. En France, il est quasi clos et toute infime tentative de voix discordante voit un torrent de haine se déchaîner. Vous l’avez vu en étant en1ère ligne…
    L’autre point, c’est un complexe qui rend la « droite » française la plus bête du monde : toujours à courir après une caution morale de gauche, preuve du vide idéologique de ses représentants.
    La droite française est presque aussi étatiste, voir collectiviste, que la gauche. Donc à part une poignée de libéraux (de gauche comme de droite)…

    Aimé par 3 personnes

  3. Analyse de style originale et intéressante.

    Pour la France, le RCA serait une erreur politique stratégique pour une certaine gauche, surtout si les modèles (CMIP6) se mettent à tousser ? On le saura d’ici quelques temps. Et le RCA serait alors une erreur politique tactique pour la droite, toujours en France ?

    Et je note que James Taylor n’aimes pas vraiment les environnementalistes, du Sierra Club, du WWF ou de XR ? Ce n’est pas un ami de la Planète !
    😀

    PS : La vidéo d’une vingtaine de minutes de la conférence de James Taylor est à https://www.youtube.com/watch?v=xAinRV3QkVQ (on peut activer le sous-titrage automatique en anglais).

    J’aime

  4. Les points de vue des sceptiques ont beaucoup evolue depuis quinze ans. La 1ere etape fut le changement de sceptique a realiste. Depuis le debat televise ou Allegre avait cisaille Jouzel en direct car il ne connaissait rien a la climatologie, beaucoup ont « modere » leurs propos. Les arguments etant mis a mal par la realite du terrain. Alors en effet il reste maintenant a admettre que le RC est bien un RCA pour la majeure part. Deja admise par un grand nombre de realistes. Et enfin considerer que ce RCA est de l’ordre de la catastrophe ou de difficultes a surmonter. Mais la , on rentre dans le domaine du subjectif. Et on manque aussi de donnees precises sur les consequences des scenarios modelises par le Giec et leurs experts. En particulier sur les retroactions positives (amplifications), du type albedo, permafrost, feux de forets, methane et modification du cycle de l’eau (et de la vapeur d’eau). C’est probablement la que va se jouer la gravite du phenomene. La fameuse limite de 2.5°C pour la planete entiere cache des disparites enormes selon les latitutes. Sachant qu’avec 1°C seulement on a bien vu ces 6 dernieres annees ce que ce systeme chaotique complexe pouvait deja modifier.
    Enfin voir ce pb sous un angle politique gauche, droite ou vert est une erreur a mon avis. L’avenir le montera surement.

    J’aime

    • Vous prenez vous aussi vos désirs pour des réalités… J’ai plutôt remarqué une augmentation du scepticisme, cela souvent du fait du grand n’importe quoi des réchauffistes, s’alarmant pour une caniculette de 3 jours, pour un record de t° foireux ,des ours polaires en pleine forme, etc, etc…
      Le jour où cela basculera, ce sera le jour où comme pour les bonnets rouges, le peuple s’apercevra que le paradis vert est un enfer totalitaire.
      En attendant 2020, profitez bien : nous allons ressortir toutes les prédictions foireuses de vos collaptionnistes. Il y en a tellement qu’on devrait sûrement pouvoir en sortir une par jour!

      Aimé par 1 personne

  5. J’ai deja dit plusieurs fois au contraire que je souhaitais me tromper et que les sceptiques aient raison. Je serai alors le 1er a leur reconnaitre leur bonne analyse des choses. Je me contente d’observer les donnees au fur et a mesure. De temps en temps du reste, je ne manque pas de relever quelques aberrations ou exagerations du cote des rechauffistes , de gens qui visiblement affirment des choses fausses ou qui n’ont rien a voir avec le RC. A part cela et en m’en tenant aux etudes scientifiques serieuses ainsi qu’aux releves officiels et a mes observations personnelles, je me forge ma propre idee toujours a l’ecoute d’autres points de vue. C’est pour ca que je lis vos posts et commentaires. Et donc RV en 2020 marcngl. C’est noté.
    Au point de vue meteo, nous profitons depuis quelques jours d’un temps bien agreable voire frais. Ainsi la moyenne d’Aout va baisser , et c’est tant mieux.
    Bonne soiree.

    J’aime

Laisser un commentaire