17 novembre 2018 ou… 1788 ?

par Rémy Prud’homme.

La journée du 17 novembre illustre jusqu’à la caricature le côté ancien régime du nouveau monde. Dans la Macronie, on retrouve au moins quatre caractéristiques de la France de Louis XVI. 

     La fracture – Le fossé d’aujourd’hui, entre zones pauvres et zones riches, secteurs « in » et secteurs « out », gilets jaunes (75% des Français) et Macroniens (25%), évoque irrésistiblement la division entre aristocratie et clergé d’un côté et tiers-état d’un autre. Le célèbre mot de Sieyes sur le Tiers-Etat, « qui est tout, qui n’a jusqu’à présent été rien, et qui demande à être quelque chose », décrit assez bien la situation d’aujourd’hui.

     La gouvernance – Le roi tirait son pouvoir de Dieu. Le président tire le sien du suffrage universel, mais il se présente comme le roi des Dieux, Jupiter. En fait, Macron et sa cour ont davantage de pouvoir que Louis XVI et sa cour. Le pouvoir de Louis XVI n’était absolu qu’en théorie et en apparence ; en réalité, le roi devait composer avec les Parlements régionaux, avec le clergé, avec l’opinion même. Macron, qui a humilié les syndicats, appauvri les collectivités locales, discrédité les partis, et affaibli le Parlement, a fait le vide entre lui et le peuple. Il le sermonne directement, dans la rue ou à la télévision, et il pense que cela suffit. Et il s’étonne, ou se flatte, de polariser le mécontentement, bien plus que ne le fit jamais Louis XVI.

     La fiscalité – Dans les deux cas, l’endettement est considérable, et l’impôt oppressant. C’est son augmentation qui met les foules dans la rue. La taxe carbone d’aujourd’hui est la gabelle d’hier, des impôts qui frappent un bien indispensable : le carburant pour se déplacer, le sel pour conserver la nourriture, et qui sont donc fortement régressifs[1]. Il y avait sans doute alors des clercs pour expliquer que le sel se raréfiait, qu’il était nocif pour la santé, et donc que la gabelle et son alourdissement envoyaient un « signal-prix » nécessaire pour le bien de tous.

     L’arrogance – A la fin du 18èmesiècle, la morgue des aristocrates et du haut clergé était plus grande encore que leurs privilèges, et plus vivement ressentie. Ils méprisaient les manants, les rustauds, les jacques, et ils affichaient ce mépris. Ils exigeaient de passer les premiers, pour les places et sur les routes. Le 17 novembre a multiplié les exemples de cette attitude dans le camp du pouvoir. « Ceux qui fument des clopes et roulent en diésel » ne comptent pas. Leurs manifestations sont des « jacqueries », sans importance et sans signification. Presque tous les incidents de la journée ont été le fait d’automobilistes macroniens qui ne supportent pas d’être ralentis ou arrêtés par des gueux souriants, et qui foncent dans le tas avec leur grosse voiture (celle qui a tué en Isère est un 4×4 Audi ; valeur : de 60.000 à 120.000 euros). Les romans d’Alexandre Dumas sont pleins de scènes de ce genre, dans lesquelles une calèche à six chevaux écrase les manants qui ne se garent pas assez vite. Morgue encore dans la réponse gouvernementale : « Nous vous avons entendu ; [mais comme vous comptez pour rien] nous allons continuer à augmenter chaque année de 20% votre taxe carbone ». Les mots entre crochets, qui donnent son sens à la phrase, ne sont pas prononcés, mais ils sont très bien entendus par tous les Français. Quant aux mesurettes annoncées (donner 4000 € à ceux qui sont capables d’acheter un véhicule de 15000 €) elles font irrésistiblement penser à Marie Antoinette : « Il n’y a plus de pain ? Qu’on leur donne de la brioche ! ».

     Où le président Macron, qui avait invité les mécontents à « venir le chercher » (sic), et qui chérit les symboles, a-t-il passé la journée du 17 novembre ? Au château de Versailles, dans sa résidence de la Lanterne. Cela ne s’invente pas. « L’histoire se répète, écrit Marx, tout d’abord comme une tragédie, après comme une farce ». Espérons que, pour une fois, Marx aura raison.

 

 

[1]Un impôt est régressif lorsqu’il augmente moins vite que le revenu, ou, si l’on préfère, lorsque le ratio impôt/revenu diminue lorsque le revenu augmente.

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5 réflexions au sujet de « 17 novembre 2018 ou… 1788 ? »

  1. Encore un excellent article de Mr prud’homme !  le mépris de classe  affiché par nombre de personnalités et journalistes devant  ce mouvement est en effet effarant. C’est la nouvelle lutte des classes qui éclate au grand jour, phénomène accélèré  par l’élection de macron et l’éclatement de l’opposition droite gauche qui masquait ce phénomène grandissant.  Au moins le clivage politique est beaucoup plus clair, les winners contre les losers de la mondialisation, plus de faux semblant.
    Par contre, il me semble que le pouvoir du president est au contraire beaucoup moins important que celui du roi. Le président ne décide plus qu’a la marge, avec les transferts massifs de souveraineté vers l’Europe et autres instances internationales , en termes de politique monétaire et économique,  de justice … l’aveu de Benjamin Grivaux est fascinant « la taxation du kérosène dépend de conventions internationales ». Comment expliquer en effet autrement que le kérosène ne soit absolument pas taxe, malgré les émissions énormes , et son utilisation majoritairement à usage récréatif , contrairement au diesel.  De même,  impossible de toucher aux cargos… le président est nu et ne peut guère plus taxer que les manants, contrairement à Louis xvi, lui il n’a pas le choix.

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    • je répète, les émissions de kérosène représentent 2 à 2,5% du total des émissions anthropiques.
      C’est sans doute trop pour certains, mais est ce « énorme » ?
      Tout ça pour transporter 4,1 milliards de personnes par an en 2017.
      Pour rappel 1T de kéro consommé (+ « air ») = 3,15T de CO2 émis.
      Quant à la marine marchande, ce serait plutôt entre 4 et 5% des émissions , sachant que ça contribue (beaucoup) au commerce international.
      Mais heureusement, il y a les « kites », automatisés qui vont (en novlangue « pourraient ») diminuer leur conso « jusqu’à 30% » (par très très bon vent ?)

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