Prix des carburants et prix du pétrole

par Rémy Prud’homme.

Le prix de vente de l’essence et du gazole a beaucoup augmenté au cours des mois précédents. Cette hausse a deux causes : la hausse du coût du pétrole avec lequel sont fabriqués les carburants ; la hausse des taxes du fait de la montée en puissance de la taxe carbone et du rattrapage de la fiscalité du gazole sur celle de l’essence. Le coût des autres éléments du prix (le transport, le raffinage, la distribution, les marges) n’a aucune raison d’avoir augmenté. Quelle est l’importance relative de ces deux causes de hausse ? Le gouvernement et les partis qui le soutiennent répètent à l’envi que l’essentiel – 70 % a déclaré le Président de la République – de la hausse récente du prix de vente des carburants provient de l’augmentation du prix du pétrole. Il est facile de vérifier que cette affirmation officielle est gravement fausse.

Le président n’a pas précisé ce qu’il entend par « récent ». Considérons l’année écoulée, la période du 6 novembre 2017 au 6 novembre 2018. Le prix à la pompe de l’essence a augmenté de 13,6 centimes par litre ; celui de gazole de 24,4 centimes (carbu.com). Au cours de cette même année, le prix du baril de pétrole a augmenté de 8,1 dollars (prixdubaril.com), soit 7,1 euros. Comme un baril de pétrole égale 159 litres, un élève de CM2 calcule que l’augmentation du coût du pétrole utilisé pour fabriquer un litre de carburant a été de 4,5 centimes[1]. Il en conclut que la variation des cours du pétrole explique 33% de l’augmentation du prix à la pompe de l’essence, et 18% de celle du gazole. Soit en moyenne (pondérée par le poids respectif de l’essence et du gazole en France) 22%. On est assez loin des 70% du président de la République.

Ces calculs élémentaires s’appliquent à l’année écoulée. Pour une période différente, on aurait des résultats différents. Le prix du pétrole a décliné au cours des dix derniers jours ; il remontera peut être bientôt. De toutes façons, il y a un décalage entre le moment où les entreprises pétrolières achètent du brut et le moment où elles vendent des carburants. Les pourcentages calculés varieront, et ils ne constituent qu’un ordre de grandeur. Mais pour que le chiffre de 70% devienne proche de la réalité, il faudrait que les augmentations de taxe diminuent considérablement  – ce qui n’est pas précisément au programme – ou que le prix du baril s’envole au dessus de 100 dollars.

On comprend que le gouvernement, et les politiciens qui le soutiennent mordicus, soient embarrassés par la grogne des automobilistes et des camionneurs. D’autant plus que ces taxes sur les carburants sont fortement régressives, socialement et spatialement : elles ne frappent guère les riches Parisiens, et beaucoup les pauvres Creusois. Clamer que la hausse à la pompe s’explique par le prix du pétrole – auquel le gouvernement ne peut rien – plutôt que par les taxes – auxquelles le gouvernement peut tout – est faussement habile. La hausse des prix à la pompe irrite. Le mensonge sur les causes de cette hausse irritera bien plus encore. Tous les ministres, la moitié des Parlementaires, les administrations à la botte, et une grande partie de la presse, choisissent de répéter comme des perroquets une affirmation venue d’en haut plutôt que de faire un calcul d’école primaire. Cela ne transformera pas 22% en 70%. Mais cela nourrira l’incrédulité, le mépris, et la colère de la France d’en-bas, bref la lèpre du populisme que l’on prétend combattre.

[1]En réalité, un baril de pétrole ne produit pas que du carburant, mais également du fioul, du kérosène, et du goudron ; l’allocation de la hausse/baisse du prix du baril à la hausse/baisse de chacun de ces produits est un exercice complexe ; on fait ici une hypothèse de proportionnalité afin de rester simple.

 

21 réflexions au sujet de « Prix des carburants et prix du pétrole »

  1. On en est à un stade où la parole des responsables politiques est devenue un simple outil médiatique. Réalité ou mensonge, peu importe, le bute étant d’occupper le terrain avec un flot ininterrompu de calembredaines.

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  2. Pourriez-vous éviter d’utiliser cet horrible mot dès qu’un mouvement social se met en place : « grogne »
    dans le meilleur des sens « témoigner par un bruit sourd entre ses dents », dans le pire « pour le cochon faire entendre son cri »,
    je pense que l’intelligence nos concitoyens mérite mieux que ce vocabulaire de journaliste de BFMTV sans imagination
    Merci

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      • Ce n’est absolument pas hors sujet, je pense que les intervenants du niveau de ce site peuvent se permettre l’utilisation d’un vocabulaire bien choisi, ce n’est apparemment pas votre cas, de plus le mot « grogne » est systématiquement associé au mouvement social qu’ici on ignore un peu…Je signale à votre attention très haute et sans doute bienveillante qu’il y a un mouvement social lié au prix des carburants.

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  3. Merci pour cette leçon d’arithmétique élémentaire, même si, comme vous le signalez, la « proportionnalité » n’est pas aussi simple pour la conversion baril de brut vers carburants auto.
    Au passage, entendu ce matin sur Europe1 la porte-parole de la FI qui s’élevait, à juste titre contre ce coup de massue envers les populations rurales pauvres et « les pauvres » en général.
    Ce qui est moins logique dans la démarche de la FI, c’est qu’elle était partie, dans son programme, pour une taxation « écologique », mais, on avait pas bien compris, seulement en direction des riches, ou mieux, des entreprises !
    Plus on est « pauvre » (dans la France, insoumise, de 2018), moins on pollue, moralité : restez, ou mieux, redevenez « pauvre » !
    (Je caricature, mais à peine)

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  4. Je ne sais pas si des comparaisons entre dates récentes sont bien pertinentes. Prendre plus de recul me paraît plus intéressant (relevé sur contrepoints.org) :

    Fin décembre 2007, avant la crise de 2008 :
    prix du litre de go environ 1,18 €,
    prix du pétrole brut au même moment 126$ le baril
    taux de change du dollar à ce moment là 1,41 $ pour un euro soit un baril à 89,36€

    Actuellement :
    prix du litre de go environ 1,52€
    prix du pétrole brut 77,69$ le baril
    taux de change du dollar 1,1425$ pour un euro soit un baril à 68€

    Soit pour une baisse du baril de 23,9% on a droit à une augmentation du gasoil de 28,8%
    Avec le rapport prix du baril/prix du gasoil de fin 2007 cela donnerait un gasoil à 1,026 € Actuellement il est donc 48,16 % plus haut !!!

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  5. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre article, mais il me semble que pour être totalement impartial il faut signaler que, si l’augmentation du prix du baril n’est bien que de 7€ entre début novembre 2017 et début novembre 2018, l’augmentation du prix du baril entre début octobre 2017 et début octobre 2018 est de l’ordre de 30$ (de 55$ à 85$, source prixdubaril.com)
    Si on considère que le carburant que nous achetons aujourd’hui provient de barils achetés il y a un mois, (ou plus ? ou moins ?) cela change pas mal la donne.
    Il faudrait connaitre la manière dont les distributeurs de carburant calculent leur prix de revient pour fixer leurs prix de vente au jour le jour en fonction du prix du baril qui est entré dans la fabrication. Font-ils une moyenne pondérée sur un mois, une semaine, ou prennent-ils la valeur au jour le jour en « first in – first out » ?
    Je ne sais pas si on peut être aussi précis et péremptoire que vous l’êtes (je le dis avec sympathie vous indiquez clairement que ce n’est qu’une hypothèse de calcul…). En tous cas votre démarche est à saluer.
    Une chose est sûre et pas souvent présentée, c’est l’augmentation des taxes sur le fioul domestique (qui touche les ruraux, les modestes, les isolés et aussi certainement les plus riches, mais c’est moins grave pour eux…). Elle passe pour 1000 litres de fioul de 50€ en 2014 à 156€ en 2018. (La consommation moyenne des ménages chauffés au fioul est de 2000 litres/an).
    Cette taxe a augmenté de 37,8% entre 2017 et 2018, et bien entendu nous payons 20% de TVA sur le prix hors taxe incluant la TICPE (nous payons bien des taxes sur les taxes !).
    Mais on peut toujours présenter les choses en disant que cette taxe n’a augmenté que de quelques centimes par litre.

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  6. Anecdote
    A l’occasion d’une publication dans le journal Ouest France concernant « l’objectif de sortir du tout voiture » l’auteur indiquait la nature des principaux polluants . J’ai eu la « surprise » d’y trouver le CO2 . J’ai donc adressé un mot au courrier des lecteurs (car j’ai résolu de ne rien laisser passer) en indiquant : « il faut dire une fois pour toutes que le C02 n’est pas un polluant… c’est le gaz de la vie des plantes qui ne joue qu’un rôle mineur dans la théorie des gaz à effets de serre par rapport à la vapeur d’eau » . Rien de choquant
    réponse : « je ne répondrai plus , par principe , à une personne qui nie des travaux scientifiques reconnus depuis belle lurette »
    Ceci pour situer, une fois de plus , l’attitude idéologique d’une grande partie des journalistes qui refusent toute discussion avec ceux qu’ils considèrent comme négationnistes .
    Bien sûr mon intervention ne sera pas publiée au courrier des lecteurs
    Il y a du boulot …

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