Un rapport de la FAO permet au journal Le Monde de titrer aujourd’hui en une de son édition papier : « Le choc climatique aggrave la faim dans le monde« . Il s’agit d’un pur exercice de propagande, bien aidé il est vrai par le rapport de la FAO lui-même dont le parti-pris alarmiste n’a rien à envier à un résumé pour décideurs du GIEC.
Que voulez-vous : pour vendre du papier, pour faire parler de soi, il faut dire que tout va mal. Si en plus on peut faire porter le chapeau au climat, alors il serait bête de se priver. Le Journalderéférence n’étant pas réputé pour son esprit critique aiguisé sur les questions environnementales, on pouvait compter sur lui pour nous parler de ce rapport, dont l’alarmisme croustillant est certes plus vendeur que l’élection de Richard Ferrand à la présidence de l’Assemblée nationale.
Le Monde nous explique donc que « l’insécurité alimentaire repart à la hausse« , avec pour « démonstration » une figure extraite des données de la FAO (désolé, je n’ai qu’une photo de la version papier à vous montrer) :
Quand on connaît les pratiques des journalistes chargés des pages « Environnement » des médias institutionnels, on sait d’emblée que ce genre de graphique n’est pas fait pour informer loyalement le lecteur d’une situation donnée, mais pour le convaincre de quelque chose (qui se résume en général à : « tout va de mal en pis à cause de nous »). Sans même en être informé, n’importe qui ayant un minimum de culture scientifique aura remarqué ce qui ne va pas dans ce graphique : la sous-alimentation étant un problème qui ne date pas d’hier, il est fort douteux que les statistiques dont on dispose puissent ne remonter qu’à 2014.
Bingo : le rapport de la FAO cité par Le Monde donne en effet un graphique tout à fait différent (page 3) :
Comme on le voit, partir de 2005 au lieu de 2014 offre une vision d’ensemble déjà plus nuancée. On note par exemple que, comme par hasard, l’année 2014 choisie par Le Monde correspond au creux de la courbe du nombre de personnes sous-alimentées, ce qui rend la hausse subséquente la plus dramatique possible.
Ce second graphique montre surtout que les choses n’évoluent pas si mal, car la hausse récente fait suite à une baisse qui a été bien plus marquée. Pour se convaincre qu’on ne va quand même pas complètement dans le sens du pire, inversons le sens de la courbe :
On imagine déjà les commentaires de Rémi Barroux dans Le Monde : « Malgré une légère baisse ponctuelle, le niveau reste dramatiquement supérieur à ce qu’il était il y a 12 ans »…
Entendons-nous bien : le graphique de la FAO montre bel et bien une hausse de la sous-alimentation depuis quelques années, et il est clair qu’une telle évolution est dramatique pour ceux qui la subissent. Il ne saurait être question de minimiser l’ampleur du problème. Imaginer que près de 850 millions de personnes n’ont aujourd’hui pas de quoi se nourrir correctement est un drame qui doit occuper nos pensées et nous conduire à réfléchir et à agir du mieux que nous pouvons pour améliorer les choses.
La tristesse que nous ressentons tous à l’énoncé de ces chiffres et à ce qu’ils représentent concrètement pour tant de personnes ne doit toutefois pas nous empêcher de réfléchir. Or objectivement ce qui apparaît est surtout une baisse remarquable de la sous-alimentation depuis 12 ans, baisse que la hausse récente n’a heureusement pas fait disparaître. Il y a aujourd’hui 120 millions de personnes de moins à souffrir de sous-alimentation qu’en 2005 : au-delà de la légère hausse depuis 2014, le bilan récent est donc très largement positif (ce qui, redisons-le, ne doit pas nous inciter à relâcher nos efforts).
Circonstance atténuante pour Le Monde : la FAO elle-même titre sa figure 1 ci-dessus sur la hausse depuis 2014, et choisit elle aussi de mettre en évidence des données à partir de 2014 dans son rapport (voir notamment en page 8). Je me demande dans quelle mesure il est considéré comme éthiquement acceptable par des statisticiens de se livrer à de telles présentations aussi évidemment biaisées, fût-ce pour la bonne cause. Car la FAO dispose d’une base de données accessible en un clic sur son site et qui produit une courbe pourtant bien plus significative :
Comme on le voit, les données remontent cette fois à 1999. Autre différence : ces données sont, elles, lissées sur 3 ans, ce qui suggère fortement que les statisticiens sérieux de la FAO savent pertinemment que des variations ponctuelles d’une année sur l’autre ne sont pas significatives d’un renversement de tendance.
Ce dernier graphique montre aussi qu’une hausse comparable à celle de 2014-2017 a déjà été observée vers 2002-2004 sans que cela empêche la diminution drastique qui a suivi. Enfin, la forme de cette dernière courbe suggère que nous avons probablement affaire à une évolution de type logistique : quelque chose s’est passé dans les années 2000 (au hasard : l’essor de la Chine par la libéralisation de son économie et son intégration dans le marché mondial, qui a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la misère en seulement quelques années, rythme qui n’a peut-être jamais été vu dans l’histoire de l’humanité), produisant un bouleversement qui a désormais fini de produire ses grands effets. Une prolongation n’aurait pas été de refus, mais le réel est ce qu’il est.
Quoi qu’il en soit d’une analyse plus précise de cette courbe, celle-ci ne montre ni de près ni de loin une réaugmentation massive de la sous-alimentation, seulement que, comme souvent, un facteur d’amélioration d’une situation produit plus d’effets à ses débuts qu’à sa fin, une fois obtenu tout le jus de cette amélioration. (Dans un autre registre, lorsqu’on se lance dans un plan d’économies, les premiers pas sont faciles à faire (on coupe dans le moins nécessaire), puis vient un moment où l’on entre dans le dur, ralentissant voire bloquant la belle tendance initiale.)
De ce que j’en ai lu, le rapport de la FAO a été écrit dans le but d’alarmer et non d’informer. Pour cela, il recourt à la même technique que le GIEC ou le fameux Rapport sur le climat en France au XXIe siècle que j’avais analysé en son temps : il insiste systématiquement sur ce qui va dans le « bon » sens (ici : le sens du pire), et passe sous silence le reste. Cas d’école en page 4, qui donne un tableau par région de la prévalence de la sous-alimentation dans le monde. Voici la partie concernant l’Amérique latine et les Caraïbes :
Les nombres indiqués correspondent à des pourcentages. De gauche à droite, ces pourcentages correspondent respectivement aux données pour les années 2005, 2010, 2012, 2014, 2016, et enfin des prévisions pour 2017. Comme on le voit, la diminution est assez nette, à peu près partout.
Petit jeu : trouver les données de ce tableau les plus négatives possibles, celles qui permettent le mieux de dire que les choses vont de mal en pis, et en faire une phrase sur le thème « c’est pire qu’avant ». Réponse dans le rapport, toujours en page 4 :
Dans un contexte où le taux de sous-alimentation continue d’être relativement faible, la situation se dégrade néanmoins en Amérique du Sud, où la PoU est passée de 4,7 pour cent en 2014 à 5,0 pour cent en 2017.
(Rappelons que la valeur de 2017 est une valeur projetée, mais on comprend que le rapport n’allait pas s’embarrasser de conditionnel : tout va mal, on vous dit.)
Arrivé ici, me voici confronté au même problème que l’autre jour lorsque j’ai commenté le million-et-unième appel lancé par des scientifiques pour sauver la planète du méchant climat : il me faudrait des heures pour faire un travail complet sur ce rapport et son résumé dans Le Monde, alors que la nuit est hélas bien avancée. Tout comme l’autre jour, je ne peux donc livrer à chaud qu’une analyse très partielle. Je n’ai même pas le temps de m’intéresser au volet « climat », qui est pourtant ce qui m’a mis la puce à l’oreille dans la « une » du Monde.
Ce serait le travail d’un authentique « journal de référence » que de mener une analyse fouillée et de la publier dans la foulée du rapport (et non plusieurs semaines plus tard, lorsque l’actualité est passée à autre chose). Celle-ci pourrait être préparée sans problème en amont, car il est habituel que les journalistes reçoivent ce genre de rapports plusieurs jours avant publication (on parle d’embargo : le journaliste peut lire le texte et préparer son article, mais ne peut pas le publier avant une date prédéfinie par le propriétaire du rapport).
Le problème est que, sur les questions environnementales, nous n’avons pas de journal de référence. Nous n’avons que des médias militants qui ont abandonné tout esprit critique, au profit de la mission d’éduquer les masses à penser comme il faut. À chacun de faire son possible pour s’y opposer.
J’ai tout de même entendu ce matin à la radio que le rapport citait aussi l’effet des guerres et de l’instabilité politique (sur la 1e chaîne, la 3e ne mentionnant que le « choc climatique ».
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La situation du Venezuela, sans doute exemplaire pour les écolos Mélenchonnistes, doit expliquer une partie des statistiques sud américaines ?
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Je viens de regarder rapidement. La désagrégation de la situation au Venezuela se voit hélas en effet très bien dans leur courbe de sous-alimentation, qui après une belle baisse sur la période 2002-2010 (passée en gros de 17% à 3%), s’est à nouveau incurvée vers le haut, remontant aussi vite qu’elle était descendue. Elle n’est pas encore revenue à son niveau de 2002 (on en est à 11%), mais on y va tout droit.
La comparaison avec la Colombie voisine est éloquente : stable à 9% jusque vers 2010 avec un court pic à 11%, la sous-alimentation colombienne est en chute libre depuis (6,5% actuellement).
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On peut retrouver la première image dans sa forme graphique et numérique originale ici https://img.lemde.fr/2018/09/11/0/0/1068/2386/534/0/60/0/f519aee_3Sx28tv0LC-LEZozIynvOqr6.png Elle est facile à trouver : à la saisie du titre de cet article dans Google, il faut cliquer sur « image » dans la partie résultats pour la voir apparaître.
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Je suis en train de lire ce rapport. Page 48 : figure B et figure D : Augmentation très sensible des précipitations sur le Sahel et la partie Inde du Nord-Ouest-Pakistan-Afghanistan et donc des superficies cultivables sur 2015 et 2016 (voir cette augmentation aussi sur les figures A et C, de façon moins sensible mais toujours nette de 2011 à 2016). 1/ Merci donc à Jean Jouzel de répéter dans les médias à qui veut l’entendre que la sécheresse s’installe dans le Sahel du fait du réchauffement climatique alors que les graphiques de ce rapport de la FAO montrent exactement le contraire. On peut aussi lui montrer la figure A page 50 : augmentation du couvert végétal dans le Sahel. 2/ Il faut également savoir que la plupart des pays en développement sont maintenant sur des taux de natalité autour de 3 voir en deça, seuls les deux foyers évoqués plus haut (Sahel/Afrique Subsaharienne et Inde-NordOuest/Pakistan/Afghanistan) ont des taux de fécondité autour ou supérieurs à 5 enfants par femme. Donc, les deux principaux foyers de la planète en cours d’explosion démographique aurait eu plus de précipitations que de normal dans des climats habituellement marqués l’aridité : est-ce vraiment une mauvaise nouvelle ? D’autant plus que pour le Sahel, la comparaison des données commence à 1981, laissant de côté les grandes sécheresses des années 70, qui auraient probablement rendues cette hausse comparée des précipitations encore plus sensible. Ces graphiques en page 48 tendent donc à donner un rôle positif à l’évolution du climat plus pluvieux dans ces régions. Après, ces climats étant marqués par une forte variabilité intersaisonnière et spatiale des précipitations, si ils revenaient à des « cycles » de sécheresse, on ne doute pas que certains les attribueraient un peu facilement au supposé RCA global.
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Avant que quelqu’un ne me reprenne, je parlais de taux de fécondité et non de taux de natalité : il me semblait l’avoir rectifié en changeant ma phrase mais non.
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Et l’explosion de la population dans les régions concernées n’est même pas évoquée … cause principale probable avec les guerres .
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Sinon, la photo en une de l’article du Monde https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/09/11/secheresses-inondations-tempetes-le-dereglement-climatique-aggrave-la-faim-dans-le-monde_5353404_3244.html?xtmc=fao&xtcr=1
date de 2006 : http://www.afpforum.com/AFPForum/Search/Results.aspx?pn=1&smd=18&pprm=c21kPTQmbXVpPTMmcT00ODIwMjg2NDM4NTY1MDkzNDMzXzAmdGhpPTIzMTc2ODUmbG5nPSZtdWk9MyZmdG89Mw%3d%3d&Area=8&AreaCodes=afr&bbx=-76.6797849031072%2c-154.687500000004_76.6797849031072%2c154.687500000004&mui=3&t=2&q=7158451470371017734_0&cck=954379#pn=1&smd=18&pprm=c21kPTQmbXVpPTMmcT00ODIwMjg2NDM4NTY1MDkzNDMzXzAmdGhpPTIzMTc2ODUmbG5nPSZtdWk9MyZmdG89Mw%3d%3d&Area=8&AreaCodes=afr&bbx=-76.6797849031072%2c-154.687500000004_76.6797849031072%2c154.687500000004&mui=3&t=2&q=7158451470371017734_0&cck=954379
Ne pouvait-on pas trouver photo plus appropriée pour illustrer une recrudescence de la faim dans le monde de 2014 à maintenant que la grande sécheresse de l’Afrique de l’est de 2006 ?
Mais puisque Le Monde nous amène à évoquer cette sécheresse, voilà ce qu’en disait un expert FAO en 2006 : » De son côté, Nicholas Haan, conseiller technique en chef de l’Unité d’analyse pour la sécurité alimentaire en Somalie (FSAU), qui dépend de la FAO, s’est penché sur les données des dernières décennies, et son diagnostic est clair : « La sécheresse est un phénomène cyclique, normal dans cette région et on ne note pas, en ce moment, de forte diminution des précipitations, même si les variations sont désormais plus brutales, avec des périodes de sécheresse succédant à des inondations. Le nombre des animaux a beaucoup augmenté, et diminue dès que la situation se dégrade momentanément. » En conclusion, il estime qu' »il appartient aux gouvernements et aux organismes impliqués dans ces régions, ensuite, de trouver des solutions pour développer ces régions ». Soit « La sécheresse est un phénomène cyclique NORMAL » https://www.lemonde.fr/afrique/article/2006/02/24/le-kenya-est-frappe-par-la-secheresse-la-plus-grave-depuis-dix-ans_744747_3212.html
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Cédric, t’es vraiment un fin limier !
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Cas typique des stats… et de leur (n) interprétation correcte.
C’est comme le sieur Larrouturu qui assène au micro d’E1 que la Temp° moyenne global a augmenté de 1°C dans les 50 dernières années, comme « preuve » du réchauffement/dérèglement/bouleversement/chaos/armageddon (rayer la mention inutiles) climatique, et que donc, comme tous les ans depuis au moins 20 ans, il est urgent d’agir .
Ne chipôtons pas quelques dizièmes ou centièmes, mais il aurait pou, par simple souci d’honnêteté dire que la hausse est également de 1°C… depuis 140 ans
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Si l’augmentation est circonscrite à l’Amérique du Sud, une explication évidente pourrait être la situation du Vénézuéla. De façon générale, il paraît plus plausible que la malnutrition soit liée à des conflits ou à la répression politique qu’à des causes cllimatiques, sauf famines ponctuelles. Même dans ce dernier cas, la cause « naturelle » mais conjoncturelle d’une famine peut dissimuler ses causes politiques, qui sont généralement structurelles. La Corée du Nord contemporaine et les famines du Bengale après la deuxième guerre mondiale en sont des exemples. Des catastrophes naturelles (inondations, sécheresses) entraînent régulièrement des famines en Corée du Nord, mais curieusement pas en Corée du Sud qui a pourtant la même géographie pour l’essentiel. En effet, le régime économique nord-coréen a entraîné une déforestation massive, qui nuit à la rétention d’eau nécessaire à l’agriculture et à la prévention des inondations. De plus, le même régime entrave fondamentalement la productivité agricole et empêche tout stockage privé de denrées alimentaires. Enfin, le régime politique utilise la faim comme moyen de contrôle politique et n’accorde pas la bonne priorité budgétaire à l’aide alimentaire en cas de famine. Dans ces conditions, les intempéries ont des conséquences dramatiques, qu’on peut effectivement attribuer au changement climatique à condition de passer tout le reste sous silence.
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Les dernières donnés sur la population mondiales vivant en deçà du seuil de pauvreté ($1.90 par jour) sont de 768.5 millions pour l’année 2013. En espérant que la baisse heureusement amorcée il y a quelques décennies se poursuive à la même pente, le chiffre doit être approximativement de 400 millions pour 2018. Et en supposant que la moyenne des revenus de cette population soit de $1.20, l’écart cumulé est de $0.6 * 400 10^6= 240 milliards de dollars, ce qui est sensiblement ce qui est dépensé chaque année pour ‘lutter’ contre le réchauffement. Re-attribuer ce budget permettrait donc de supprimer complètement la pauvreté dans le monde (au sens de l’estimation officielle).
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Pardon, j’ai calculé trop vite! J’ai mélangé des jours et des années! Mea Culpa.
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$0.6 * 365 * 400 10^6= 87.6 milliards de dollars.
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Patrick J. Michaels vient de publier un article sur le blog de Judith Curry sur le remarquable développement de la végétation partout dans le monde grâce au réchauffement climatique et à l’augmentation des concentrations de dioxyde de carbone. Il est basé sur une publication de Zhu et al. de 2016.
Les cartes sont détaillées par type de végétation. La progression de la production végétale est remarquable.
L’analyse de Zhu le conduit à attribuer 70% de la progression au rôle fertilisant du dioxyde de carbone.
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