par Cédric Moro.
Ça n’a pas traîné : dès le début de l’après-midi du 6 septembre 2017, le Journalderéférence alertait le lecteur par un titre en Une sur le phénomène cyclonique Irma, d’une « puissance jamais enregistrée dans l’Atlantique Nord »[1], au moment où l’ouragan venait de frapper durement le nord des petites Antilles.
Rien qu’à la lecture de ce titre j’ai compris que cet événement météorologique allait être utilisé à des fins politiques et médiatiques autour du réchauffement climatique et de ses théories carbocentristes. Les « meilleurs scientifiques » nous avaient prévenus, n’est-ce-pas : les cyclones seront de plus en plus violents à cause du réchauffement climatique… nous assisterons régulièrement à des records… Irma devait donc en être la plus parfaite l’illustration dans l’Atlantique nord.
Mais qu’en a-t-il été réellement des mesures enregistrées au passage d’Irma au 6 septembre, en comparaison avec d’autres ouragans ?
Le 31 août, Irma est une tempête tropicale puissante, située au milieu de l’Atlantique, qui attire l’attention des météorologues et la vigilance des autorités. Le 5 septembre, Irma, au large à l’est des petites Antilles, entre en catégorie 5.
Qui a mesuré le « record » ?
L’annonce d’un « ouragan sans précédent sur l’Atlantique » est faite le 6 septembre à 9h par Météo-France via son compte Twitter[9].
Cette annonce, très précoce, n’est suivie d’aucune donnée désignant clairement sur quel point portait le record. À 13h46 (heure de France métropolitaine), le Journalderéférence s’empare de l’annonce pour qualifier Irma d’ « ouragan le plus puissant jamais enregistré dans l’Atlantique Nord ». Un titre qui n’est pas sans évoquer ceux des journaux « attrape-click » (pour rester poli), puisqu’on peut y lire dès le 1er paragraphe de l’article que c’est en fait « l’un des plus extrêmes ayant survolé l’Atlantique », en contradiction directe avec le titre.
Lorsqu’on connaît la propension de la population à ne retenir que le titre, on imagine l’impact que celui-ci a pu provoquer sur les esprits, notamment vis-à-vis des associations hâtives entre événements météorologiques extrêmes et « réchauffement climatique d’origine humaine ».
Dans son article, Le Monde nous apprend qu’il y a eu des rafales mesurées à 244 km/h à Saint-Barth, mais qu’étant donné que la station a été hors de service, les vents les plus forts « pourraient » avoir atteint les 300 km/h, ce qui est une estimation bien inférieure à celle du bulletin de Météo-France lorsqu’il indique des rafales à 340 km/h. Plus gênant : le consultant Alexis Roumagnac indique qu’à Barbuda, « La station météo y a enregistré des rafales à 360 km/h mercredi matin » alors même que la NOAA, qui la gère, indique y n’y avoir mesuré que des rafales à 250 km/h [5].
Le jour même, les autres médias reprennent à l’unisson cette information autour des vents à 360 km/h à la station de Barbuda, tout en soulevant bien entendu la question « grave » du réchauffement climatique à l’aune de ce qui serait le nouveau record d’intensité ou de puissance dans l’Atlantique nord. Il ne manquait plus que le président de la République pour déclarer à Athènes le lendemain que « La France restera déterminée à lutter contre le réchauffement climatique et à tout faire pour prévenir ce type de désastre », tout en visant implicitement les positions du président des États-Unis sur les émissions de CO2[10]. Pendant ce temps, les premiers signes s’accumulaient sur le manque de préparation des îles françaises sinistrées.
Les mesures disponibles
Pour savoir si Irma a vraiment été l’ouragan le plus puissant jamais mesuré, commençons par récapituler les observations dont nous disposons.
Le 5 septembre à 7h45, la NOAA et son avion de reconnaissance indiquent[2] :
– Pression minimale au centre : 929 mb
– Vents soutenus : 280 km/h (175 mph)
Il semblerait qu’une rafale en altitude ait été mesurée à plus de 196 kt / 363 km/h par une sonde larguée lors des reconnaissances aériennes américaines (info non vérifiée à la source)[3].
À 23h, la NOAA relève[4] :
– Pression minimale au centre : 916 mb
– Vents soutenus : 295 km/h (185 mph)
Dans les premières heures du 6 septembre, l’île de Barbuda est dans l’œil d’Irma, toujours en catégorie 5. Sa station, gérée par la NOAA, note[5] :
– Pression : 916 mb.
– Vents soutenus à 190 km/h (103 kt)
– Rafale : 250 km/h (135 kt).
Ce seront les dernières mesures que la station sera en mesure de faire. Très tôt dans la matinée, ce sont cette fois Saint Martin et Saint Barthélémy qui sont dans l’œil du cyclone, toujours en catégorie 5. Météo-France relève[6] :
– Pression : 914 hPa (une reconnaissance aérienne de la NOAA mesure, elle 915,9 mb)
– Vents soutenus : 295 km/h
– Rafales : 340 km/h
Une rafale à 244 km/h est mesurée à Saint Barthélémy à 4h04 avant que la station cesse d’émettre[1], tout comme les stations météo amateurs qui se sont tues bien plus tôt. Il n’y a eu également aucune mesure pour Saint Martin au moment de son passage dans l’œil du cyclone, sa station s’étant trouvée hors de service[7], comme le montre cette copie d’écran :
Les stations météo de cette zone ne communiquent plus au plus fort du cyclone (Barbuda mais aussi Saint Barth et Saint Martin), si bien que l’on peut s’interroger sur les moyens nécessaires dont devrait disposer Météo-France pour effectuer son travail de mesure en conditions cycloniques extrêmes.
Enfin, dans l’après-midi (locale) du 6, une reconnaissance aérienne de la NOAA est effectuée au dessus des îles vierges britanniques[8], qui donne de nouvelles mesures :
– pression min : 914 mb
– vents soutenus : 296 km/h (160kt)
Comparaisons
Comment toutes ces observations se comparent-elles avec celles des plus puissants ouragans enregistrés dans l’Atlantique Nord ? L’indicateur le plus couramment utilisé pour comparer l’intensité des cyclones entre eux est celui des pressions minimales. En voici le palmarès pour l’Atlantique nord :
Sur cet indicateur ultra-classique, avec ses 914 hPa, Irma n’entre même pas dans le top 10[11]. Ne serait-ce que vis-à-vis de ce paramètre usuel, il est tout à fait légitime de critiquer sa position de n°1, voir de questionner certaines données officielles sur d’autres paramètres.
Certes, dans l’esprit de la population, la puissance d’un ouragan réside davantage dans la force de ses vents. Pour classer Irma selon cet autre critère, prenons comme référence la donnée avancée par Météo-France de 295 km/h de vents soutenus sur 1 minute, et comparons avec les autres ouragans :
Selon ce critère, Irma ne se hisse pas non plus à la première place mais à la deuxième, qu’il partage avec trois autres ouragans [11].
Bon, dira-t-on encore : Irma n’a pas eu les vents soutenus les plus forts de l’Atlantique nord, mais peut-être, au moins, les plus fortes rafales ? La plus forte rafale instantanée mesurée lors de l’ouragan Irma semble être de 363 km/h – 196 kt [3]. Elle a été mesurée suite à un lâché de sonde en altitude au plus près de l’œil du cyclone lors d’un des vols de reconnaissance des avions de la NOAA le 5 septembre.
Cette valeur de 363 km/h a souvent été présentée comme celle des vents maximums du cyclone dans la presse. Or, même en altitude et avec ce type de sonde, Irma ne détient pas le record puisqu’Isabel[12] a eu des rafales mesurées par largages de sondes à 375 km/h (203 kt). De plus, il n’est pas exclu que d’autres cyclones récents aient eu des rafales plus importantes encore, du fait que la technique des sondes et des avions chasseurs, relativement récente, est en progression constante et qu’il est difficile d’avoir accès à des données synthétisées à ce sujet. Quant aux plus fortes rafales instantanées mesurées en station, il est inutile de comparer ce paramètre puisque toutes les stations étaient hors service au plus fort de l’ouragan.
Bilan
Au vu de ces mesures, Irma est l’un ouragan des plus violents mesuré dans l’Atlantique nord, mais il n’est pas le plus intense ou le plus puissant à cette échelle. Probablement ne l’est il que pour les seules petites Antilles.
Le 6 septembre à 13h, moment de la publication de l’article du Monde, aucune mesure ne prouvait que l’ouragan Irma était le cyclone n°1. On savait seulement qu’il était un ouragan majeur, d’une intensité rare. Une grande partie de la presse française a pourtant fait écho à cette erreur factuelle. Seul magazine à avoir sauvé l’honneur, Sciences et avenir[13] a tout de même mis en pièces cette idée d’ouragan record.
Beaucoup d’autres affirmations erronées ont été entendues après le 6 septembre, notamment d’experts du climat internationalement reconnus. Nous y viendrons dans un article séparé. Nous y verrons également que lorsque les médias veulent un record, certains experts peuvent leur en trouver, quitte à se placer hors des paramètres couramment utilisés pour mesurer les phénomènes.
Face aux cyclones, parions sur la résilience locale plutôt que sur la réduction du CO2
Nos sociétés ont grand besoin de se préparer aux événements météorologiques extrêmes. Depuis 1969 au moins, c’est-à-dire que depuis que l’échelle de Saffir-Simpson existe, la communauté scientifique et les autorités savent que des vents supérieurs à 300 km/h peuvent se produire au passage des cyclones. Nous y préparer est une nécessité vitale. En zone cyclonique, cette préparation passe par des constructions para-cycloniques, préférentiellement hors des zones submersibles, par la création de plans de vigilance, d’alerte, d’évacuation et d’urgence, acceptés par des populations conscientes et bien informées et par la création d’infrastructures résilientes (réseaux techniques qui se relèvent vite, continuité des opérateurs d’intérêts vitaux, stations météo plus robustes…).
Le sous-investissement notable dans ces domaines de la résilience a été mis en relief aussi bien par les dommages que par la difficile gestion de l’après-Irma. Certains politiques et experts ont fait preuve d’une terrible inconséquence en demandant d’investir des milliers de milliards de dollars dans la régulation des émissions de CO2 pour, dit-on, réguler l’intensité des cyclones, alors même que, pendant le passage d’Irma, certains centres de secours avaient les pieds dans l’eau faute d’une anticipation politique et administrative adéquate.
L’absolue priorité, celle qui sauvera assurément des vies et limitera le coût des dommages, doit porter sur la résilience de nos sociétés et non sur des spéculations politico-scientifiques et financières autour du CO2.
Comme d’autres événements enregistrés depuis le début du siècle dernier, Irma nous a rappelé à la nécessité d’une meilleure résilience. Mais aura t-on retenu la leçon ? Si nous nous contentons de discours anti-CO2, la réponse sera clairement négative.
[1] Martine Valo – Le 6 septembre à 13h46 « Irma, l’ouragan le plus puissant jamais enregistré dans l’Atlantique » – Le Monde
[2] National Hurricane Center Miami – 5 septembre à 7h45 « Hurricane Irma Tropical Cyclone Update ».
[3] Relevé de dropsonde – 5 septembre à 22h48 – Rafale maximale à 196 kt
[4] National Hurricane Center Miami – 5 septembre à 23h « Hurricane Irma Advisory Number 28 »
[5] National Hurricane Center Miami – 6 septembre à 2h « Hurricane Irma Intermediate Advisory Number 28A » (voir également ici).
[6] Météo France, « Communiqué d’activité cyclonique au 6 septembre à 5h, heure légale aux Antilles » (doc2).
[7] SXMCyclone : site internet basé à Saint Martin spécialisé sur les ouragans montrant la station météo de l’île comme n’étant pas fonctionnelle.
[8] National Hurricane Center Miami – 6 septembre à 17h « Hurricane Irma Discussion Number 31 »
[9] Compte twitter de Météo-France le 6 septembre à 9h37 (heure métropole) « En ce moment, #Irma (cat 5) d’une intensité sans précédent sur l’Atlantique s’approche de St-Barthélémy & St-Martin »
[10] Marcelo Wesfreid le 7 septembre à 19h54 « Irma : Macron cible «le réchauffement climatique» » – Le Figaro
[11] Wikipedia – source Hurdat : Liste des records des ouragans dans l’Atlantique
[12] National Hurricane Center Miami – Jack Beven & Hugh Cobb « Tropical cyclone report – Hurricane Isabel », 6-19 septembre 2013.
[13] Loïc Claveau le 6 septembre à 17h14 « Irma est-il le cyclone le plus violent dans l’océan Atlantique ? » – Sciences et Avenir.
Coucou,
En fait, c’est le genre d’article qu’on s’attendrait à lire dans « le monde » , etonnant non ?
Des références, des faits, des tableaux .
Impec.
Bonne soirée
Stéphane
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Le Monde ? Des lèches-bottes ! (pas que le monde d’ailleurs)
Et présentateur servant la soupe à Hulot au JT de France2 il y a 3 jours, un grand moment aussi.
Après nos journaleux se demandent pourquoi les Français expriment de plus en plus de défiance à l’égard de la presse…
Effectivement, on aimerait lire cet article bien ragumenté dans la presse Française, mais c’est pas pour demain.
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Merci pour ces données précises que tout vrai journaliste devrait rechercher, et pour les priorités à placer dans la résilience plus que dans la lutte contre les moulins à vent du CO2. Les discours des commentateurs et des politiques ont été d’une indécence rare, en instrumentalisant à chaud et sur la base d’informations sans fondement la catastrophe pour conforter la théorie du réchauffement climatique. Ça rappelle très fort le discours de Cécile DUFLOT sur Fukushima (hémisphère sud !), attribuant sans vergogne les 20 000 morts du tremblement de terre/tsunami au nucléaire et demandant la fermeture de Fessenheim pour faire bonne mesure. Idéologie quand tu nous tiens …
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Merci pour cette analyse détaillée et limpide.
Dans le même registre:
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Bien vu, mais hélas, les réflexions rationnelles et argumentées ne pèsent pas lourd face à un mouvement politique et social de fond qui confine au mysticisme. On vous dit qu’Irma est le plus terrible de tous et c’est la faute de l’Homme. Fermez le ban.
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Petit clin d’oeil à l’encontre de « H » :
Dans les commentaires sur l’article : « la rentrée du climathon », « H » avait dit, au début de l’affaire « Irma », : « le lien entre ouragan Irma-RC peine à s’installer, semble-t’il ? »
Maintenant, il a la réponse !
Ceci dit, son avis sur le « marchand de shampooing » est très pertinante !
Sans rancune « H » ?
Respectueusement vôtre. JEAN
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Merci pour votre article et je rejoins Murps.
Clairement, au vu des données historiques, croire que diminuer nos émissions de CO2 va diminuer le nombre et l’intensité des ouragans c’est comme croire au Moyen-âge que brûler des chats noirs c’était brûler le mal. C’est de la pure superstition.
Mais qu’est donc devenu le pays de Descartes ? Où est passé la Raison ?
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Bravo à Cédric pour cette belle démonstration de zététique. Bravo aussi à Science & Avenir pour avoir rectifié le tir, face aux catastrophistes de tout poil qui aimeraient tant confirmer ce lien très hypothétique entre réchauffement climatique et force ou fréquence des ouragans. Par un subtil renversement des rôles, ce n’est plus aux journalistes d’apporter les justificatifs de leurs affirmations prétendument scientifiques, mais à leurs contradicteurs de débusquer toutes ces âneries, preuves à l’appui… Travail épuisant mais nécessaire. Merci !
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