Engie et le vote Trump

Après avoir été tapissé d’affiches particulièrement laides pour le WWF, le métro parisien est désormais pollué par une autre campagne « écologiste ». Émanant d’Engie, ce nouveau morceau de propagande se distingue par sa stigmatisation aussi bête que méchante des déviants à la pensée conforme.

— L’avenir de la planète, c’est ça qui compte vraiment. Il faut qu’on fasse comprendre que c’est avec Engie que les gens vont participer concrètement.

— Je sais ce qu’on va faire : on va montrer en quoi ceux qui ne pensent pas comme nous sont des cons égoïstes. On n’a qu’à les présenter comme des gros beaufs.

— Ça c’est facile, c’est exactement ce qu’ils sont.

— Ah oui, alors ! Moi je supporte plus tous ces connards qui s’en foutent de l’écologie et qui parlent que du chômage et du terrorisme. Les générations futures, ils s’en tapent. Ils pensent qu’à eux.

— T’en connais ?

— Non, évidemment ! Je fréquente pas les cons !

— Moi personnellement j’en discutais l’autre jour au marché bio avec une copine végane à moi que je connais qui milite contre les ondes, et je lui ai dit…

Imaginaire, cette discussion ne doit pas être éloignée de ce qui s’est effectivement passé lors de la préparation de la nouvelle campagne de pub d’Engie. À stéréotype, stéréotype et demi : on n’imagine que trop bien le décor de la scène. Sans doute de beaux bureaux de centre-ville où discutaient des gens à la tenue choisie, très sûrs de leur haute moralité.

Bref, le fournisseur d’électricité a à nous vendre un produit résolument sauveur de planète. À moins d’être un criminel contre la nature, chacun de nous doit donc se précipiter pour lui acheter. Une électricité « verte », c’est plus d’énergies renouvelables, donc moins de CO2, donc moins de dérèglement climatique, donc plus d’ours blancs. Et donc il faudrait être un parfait salaud ou un sacré con (voire les deux) pour ne pas devenir client d’Engie, comme l’explique sobrement cette première affiche :

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Pour connaître la tête du beauf ainsi jeté en pâture à la vindicte populaire, allez voir les pubs vidéo d’Engie (non, désolé, je n’ai pas la force de vous mettre un lien).

Visiblement ignares du domaine dont ils parlent, les auteurs de l’affiche n’ont pas dû être mis au courant que +2°C n’est en général pas considéré comme une hausse catastrophique mais comme une limite à ne pas dépasser. Dans la logique carbocentriste, il aurait été moins idiot de parler de +3°C ou de +4°C (voire de +6°C, tant qu’on y est), des valeurs plus en ligne avec les prophéties des modèles. Passons.

L’idée publicitaire géniale se décline selon d’autres variantes, dont celles-ci :

Bien que ces slogans soient aussi crétins qu’insultants, il faut à leur décharge se souvenir qu’une publicité vise toujours une cible définie. Les communicants d’Engie connaissent leur métier : ils sont là pour vendre, non pour être respectueux ou intellectuellement honnêtes. Ici, leur stratégie de communication doit en gros se résumer à caresser dans le sens du poil la clientèle captive des bobos écolos à vélo. Il faut reconnaître que conforter le sentiment de supériorité de ce segment de clientèle en faisant appel à son « intelligence » et à son sens moral semble plutôt pertinent. Cette logique conduit certes à s’aliéner toute une autre frange de la population, mais celle-là n’a aucune importance puisqu’elle n’aurait de toute façon pas été acheteuse d’électricité verte.

Problème : il y a une autre affiche.

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Voilà donc le énième retour de la « poële à frire » de Michel Rocard (et de Nicolas Sarkozy à une autre époque), qui consiste à confondre réchauffement climatique et trou dans la couche d’ozone. Ce dernier n’ayant rien à voir avec les émisssions de gaz à effet de serre, on reste confondu devant l’incompétence qui s’affiche ainsi.

Le rapport avec le vote Trump ? Le rejet brutal et viscéral que peut induire une telle révélation de l’ignorance arrogante de ceux qui se présentent comme une élite morale. Comme on le sait à présent, la sociologie des électeurs du nouveau président des États-Unis est bien plus complexe qu’une simple dichotomie « racistes incultes des campagnes/urbains éduqués et ouverts ». Les diplômés ont certes voté majoritairement pour Clinton, mais seulement majoritairement. Bien que significatif, l’écart ne permet pas de parler d’hégémonie, alors même qu’on aurait imaginé que le style et les déclarations de Trump devaient constituer un repoussoir définitif pour la plupart des gens instruits.

Parmi les causes des bouleversements politiques auxquels nous assistons (Trump, Brexit…), il y a, à ce qu’il me semble, un élément tristement bien symbolisé par cette dernière affiche d’Engie. Celle-ci atteint en effet le point où se dévoile soudain la profonde incompétence des prescripteurs de pensée. Le beauf en 4×4, depuis longtemps dans le mauvais camp, n’est pas concerné. En revanche, celui disposant d’un peu de connaissances scientifiques, ou raisonnablement renseigné sur les problématiques environnementales, ne peut qu’être effaré devant une telle bêtise qui s’affiche si sûre d’elle-même. Soudain, persister à soutenir ceux qui en sont les auteurs peut alors lui devenir impossible, même s’il y était au départ disposé.

Quel est alors ce grand fracas intérieur que l’on entend soudain ? C’est le bruit d’un plafond de verre qui s’écroule.

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11 réflexions au sujet de « Engie et le vote Trump »

  1. Ben si, on va bien façonner un modèle qui produit ce qu’on veut :

    – le CO2 amplifie l’effet de serre
    – l’effet de serre augmente la quantité de glace et refroidit l’atmosphère au dessus de l’antarctique
    – le froid intense augmente le trou de la couche d’ozone

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  2. Beau manifeste contre la stigmatisation des déviants à la pensée conforme comme vous le dites. Je constate d’ailleurs à travers vos différents billets que cette stigmatisation semble vous toucher profondément…
    Ceci dit charité bien ordonnée commence par soi-même, si vous trouvez désagréable d’être stigmatisé, évitez de stigmatiser les autres : toutes les personnes qui sont en faveur du développement des énergies renouvelables ne sont pas obligatoirement des véganes qui militent contre les ondes, ou encore des bobos écolos à vélo qui se foutent royalement du chômage ou du terrorisme. Ce genre d’amalgames commence à trouver de plus en plus d’échos dans certains médias mais aussi dans le monde politique plutôt versé à droite. Avec des conséquences déjà fâcheuses pour certaines personnes malheureusement.

    Pour en revenir à la pub d’Engie, il est « amusant » de voir comment elle vous fait réagir car quand je l’ai vu, j’ai tout de suite pensé à Skyfall entre autre. A se demander même si certaines phrases ne sont pas des plagiats de Minitax par exemple ! « Les extinctions d’espèces, pas grave on en trouvera d’autres… », « les changements climatiques, j’y croirais quand je les verrais ». Même si je n’ai aucune affinité pour Engie et Edf, il faut reconnaitre que cette campagne est assez percutante bien qu’il s’agisse une fois encore de greenwashing de la part d’une firme loin d’être irréprochable en la matière.
    Ceci dit, l’affiche sur la couche d’ozone ne me choque pas plus que ça, je pense que le message qu’ils veulent faire passer est grossièrement le suivant : ne pas se soucier de l’origine et de la nature de l’énergie qu’on consomme, ça revient à se moquer des problèmes environnementaux qui nous entourent (changement climatique, extinction de la biodiversité, trou dans la couche d’ozone entre autre), en gros ça revient à porter des œillères, à se voiler la face et à ne surtout pas remettre en question notre société (c’est pas grave, on peut facilement y remédier…).
    C’est plus comme ça que je le vois, mais il faudrait leur poser la question directement pour s’en assurer plutôt que de leur faire des procès d’intention.

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    • Mais justement j’accorde de l’importance à CERTAINES espèces menacées. Pas aux grenouilles agiles ou autres « espèces » (personne ne peut dire s’il s’agit d’une espèce spécifique ou d’une sous-espèce, pour peu qu’on sache définir ce qu’est une espèce, ce dont je doute), mais des espèces qui occupent un territoire non négligeable avec un rôle significatif dans son environnement, mais des prédateurs importants, dont la disparition peut chambouler l’équilibre de toute une chaîne alimentaire.

      C’est justement un des raisons de remettre en cause certains machins prétendus « renouvelables ».

      Mais déjà, les éoliennes poussent dans la terre? en quoi sont-elles renouvelables?

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  3. Il est vexé, Cachalou. Ca lui a touché un nerf. Non mais, les écolos bobos ont le droit de traiter les autres de blaireaux, et non pas le contraire. Du coup, Cachalou a sorti son catalogue de sophismes pour montrer que c’est lui qui sauve la planète, avec son électricité verte, na!
    Le problème, c’est qu’en France, l’électricité verte augmente nécessairement les émissions de CO2. Parce que les centrales nucléaires en émettent très peu. Alors que pour compenser l’intermittence du solaire et du vent, il faut des turbines à gaz prêtes à suivre les fluctuations rapides des énergies vertes. Et plus la proportion d’énergie verte augmentera, plus il en faudra, plus les émissions de CO2 augmenteront. Et qui va payer tous ces investissements? Le Cachalou compte sur ses voisins, qu’il prend pour des blaireaux. Mais il paiera aussi Cachalou, et plus vite qu’il croit.

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    • et dire connard ou déplorable c’est cool ?

      visiblement le déplorable de Clinton a bien boosté la campagne de Trump.
      a noter que Bannon que l’oin décrit comme un ultraconservateur (méga faux) est en fait un révolutionnaire plus hardcore que Mélanchon, et que je soupçonne avec des éléments qu’on nous ait enfumé sur la campagne US qui a peut être été plus idéologique.

      Bannon est très dur envers le capitalisme de connivence, qui met autant les républicains pseudo-bigots anti avortement que les mondialiste financiers et les greensubventionnés.
      https://www.buzzfeed.com/lesterfeder/this-is-how-steve-bannon-sees-the-entire-world?utm_term=.lfLrdBAWK#.eiaKg1QOY
      Il a un coté ordo-libéral à la Germanique, en version US entreprenaliste

      ce genre de campagne, si il y a un candidat idéologiquement cohérent, peut « backfire » (péter à la gueule)…

      ce qui m’a choqué sur bannon c’est surtout que dans les articles politiquement correct, jamais on ne parlait de son idéologie, mais plutot de son histoire, et autre commentaires …
      c’est là où la vacuité et le coté new-pravda de nos média apparait.

      lire
      https://www.bloomberg.com/politics/graphics/2015-steve-bannon/

      effrayant le décalage avec le premier verbatim

      étant libre-échangiste libéral libertaire humaniste entreprenaliste prométhéen c’est pas trop ma tasse de thé, mais franchement Bannon est plus défendable que nos élites étatistes et nos révolutionaires de la fonction publique. On est loin de l’épouvantail raciste qu’on nous vend à la télé..

      J’ai plus peu des néofasciste verts

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  4. C’est quoi l’électricité verte?
    Celle produite par les éoliennes et les panneaux solaires?
    Si c’est le cas, comment ça se passe l’hiver pendant les nuits sans vent ?
    A moins que ce soit finalement l’électricité produite par les centrales nucléaires? c’est vert, ça ne produit pas de CO2.
    Ou alors plein de central au gaz en backup?
    Le tout sur l’air de « si t’achète pas chez moi t’es trop bête. »
    Donc je crois que nous pouvons leur retourner le compliment.
    Choisir l’électricité verte quand c’est au même prix, c’est comme dire : toute les façons, quoi que vous fassiez, on va vous faire les poches.

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  5. Excellent comme d’hab!
    Je doute que les concepteurs de ces affiches soient eux-mêmes nécessairement des écolos réchauffistes convaincus. Comme les politiques et les médias, ils surfent sur la vague du rca par intérêt uniquement et s’il faut pour ça faire passer certains pour des cons et bien qu’à cela ne tienne, après tout nkm l’a déjà fait non ? De toute façon, business is business.
    On verra dans quelques mois si notre plafond vole en éclat lui aussi.

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    • il est prouvé que le faut de faire un geste moral, écolo par exemple (genre recycler), autorise l’individu a être moins gentis ensuite…

      on a un budget moral, et si on le consomme en faisant du vert, en étant vegan, ou halal, ou en allant à la messe, ca autorise à laisser crever son prochain ou a lui piquer sa place de parking comme un salopard

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