Au commencement était le chiffre

La polémique du moment provoquée par Robert Ménard provient du pourcentage qu’il a avancé selon lequel les enfants de la ville de Béziers dont il est maire seraient 64,6% à être musulmans. Il ne sera pas ici question des questions éthiques ou politiques issues de cette affaire, mais seulement de ce pourcentage et son traitement médiatique, qui en disent long sur l’impact des « chiffres » dans notre société.

Tout d’abord s’est vérifié une nouvelle fois le théorème selon lequel un « chiffre » est toujours juste. Personne, en effet, ne semble s’être interrogé vraiment sérieusement sur l’exactitude du pourcentage avancé par Robert Ménard, alors même qu’il n’est pas si difficile de le faire : une telle proportion suggère que la communauté musulmane est d’un poids si considérable dans la ville de Béziers qu’on ne voit pas par quel miracle l’édile actuel a pu conquérir la mairie aux dernières élections, vu sa couleur politique qui, c’est le moins qu’on puisse dire, n’est pas précisément celle qui a les faveurs majoritaires des musulmans. Le chiffre avancé, donc, pose question.

Du point de vue politique, l’on comprend certes que poser la question de l’exactitude du pourcentage soit risqué, car susceptible de forcer à une « défense en profondeur » qui risque fort d’être inaudible : demander la preuve que le pourcentage est exact, c’est courir le risque qu’il le soit, et donc de devoir éventuellement se replier par la suite sur des arguments tels que « en quoi ce pourcentage pose-t-il problème ? », qui auraient alors la faiblesse de ne pas avoir été mis en avant dès le début.

La polémique née des propos de Robert Ménard s’est donc tenue à l’écart de la question de l’exactitude du chiffre avancé, validant implicitement ces fameux 64,6%. La seule objection un peu construite que j’ai lue de ce pourcentage est si dérisoire qu’elle en devient contre-productive : elle porte sur le fait qu’il a été obtenu en comptabilisant les prénoms « connotés », alors qu’il ne suffit certes pas de s’appeler Mohamed pour être musulman ou Marie pour ne pas l’être. User d’une telle argumentation est, de mon point de vue, se tirer une balle dans le pied en cherchant la petite bête, car utiliser l’origine des prénoms comme indicateur statistique est, en l’espèce, plutôt raisonnable. En revanche, et là Robert Ménard a effectivement commis une erreur coupable, une estimation sur les orientations religieuses des Biterrois fondée sur un indicateur tel que l’origine des prénoms ne peut évidemment pas être exacte au dixième de pour cent près.

Je n’ai pas trouvé le nombre d’enfants dont la scolarité dépend de la municipalité de Béziers, mais un calcul de coin de table suggère qu’ils doivent être de l’ordre de 10 000 (selon l’INSEE, les enfants dont la scolarité dépend des communes constitue un gros dixième de la population française, et Béziers compte un peu plus de 73 000 habitants). Sur une telle population, un chiffre au dixième de pour cent près correspond à une précision de l’ordre de quelques individus. Sans même parler des erreurs de comptage, vu les biais inévitable de l’indicateur statistique, prétendre à une telle précision est pour le moins sujet à caution (à ceux qui en doutent je présenterai volontiers mon vieil ami prénommé Rachid, qui se trouve être chrétien pratiquant).

Ainsi donc, la précision affichée par le maire de Béziers n’est mathématiquement défendable que si le comptage a été lui-même très précis, ce qui ne pourrait probablement être le cas qu’à l’aide d’un fichier dédié, c’est-à-dire à caractère confessionnel (et donc illégal). À l’heure où j’écris ces lignes, aucun fichier de ce genre n’a pu être trouvé lors de la perquisition menée à l’Hôtel de ville de Béziers. Si l’inexistence d’un fichier de ce genre se confirme, alors Robert Ménard aura « seulement » commis un grossier abus dans l’utilisation des chiffres. Dans ce cas il pourra dormir sur ses deux oreilles : à part quelques mathématiciens, ce genre d’abus, tout le monde s’en fiche.

10 réflexions au sujet de « Au commencement était le chiffre »

  1. coucou,

    je crois que les biarrots sont les habitants de la ville de biarritz.
    Pour ceux de beziers, on dit les bitterois. (ortograf à vérifier sur wikipedia bien sur !)

    En ce qui concerne la polémique, je n’ai pas trop suivi, mais il a réussi son coup en disant un truc qu’il n’avait pas fait sauf le buzz médiatique.

    Bonne journée.

    Stephane

    ps je viens de consulter la fiche de beziers sur wikipedia . 73000 habitants intra muros en arrondissant…

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  2. Bonjour.
    Je crois que vous minimisez à l’excès l’erreur statistique de la méthode des prénoms.

    La citation du Maire est «  »Dans ma ville, il y a 64,6% des enfants qui sont musulmans dans les écoles primaires et maternelles » »
    Le nombre de 10000 semble beaucoup pour les classes considérées, car elles excluent les collèges, lycées, apprentissage… et à fortiori l’exemple de votre vieil ami Rachid dont les raisons du prénom n’ont probablement pas été issues du même contexte que celui de jeunes enfants dont on peut penser que leurs parents n’ignoraient pas leur existences futures dans ce pays, la France.
    Donc, nombre plus faible mais population plus homogène (paradoxe!).

    Ce que je reprocherais à Ménard (sur la forme), hormis la prudence méthodologique d’un statisticien, c’est de ne pas avoir distingué la pratique de la culture religieuse.

    Mais cela était un oral, devant la télévision, par une personne dont le parlé n’a pas la qualité professionnelle des diva médiatiques qui gèrent jusqu’à leurs froncement de sourcils.

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    • Bonjour Amike,
      J’ai exprès choisi des chiffres « favorables » à Robert Ménard, c’est-à-dire qui rende l’approximation au dixième la moins délirante possible. La tranche d’âge concernée, celle des 3-10 ans, doit bien faire 1/10e de la population française, donc 7500 personnes à Béziers à la louche – et vu la taille de la louche, on ne peut pas faire grand chose d’autre qu’arrondir franchement.
      Vous avez bie sûr raison de dire que les prénoms sont un indicateur imparfait. Je ne sais pas trop dans quelle proportion, d’ailleurs, et cette proportion doit être variable selon les religions, les csp, les régions…
      En revanche, je crois que Robert Ménard savait très bien ce qu’il faisait. Donner un chiffre précis, c’était un moyen d’apparaître « sérieux », « scientifique ». Pour l’être pour de bon, il aurait fallu faire le contraire…

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  3. Bonjour,

    discuter de la précision de ce nombre n’est-il pas également contre-productif ? Pinailler sur le chiffre des dixièmes peut parfaitement passer pour une manoeuvre visant à faire oublier celui des dizaines…

    La question de savoir s’il y a effectivement adéquation entre cette supposée pratique religieuse en fonction des prénoms (je ne sais pas si cette hypothèse est plausible en général) et le vote est effectivement intéressante. Il est très possible que sa résolution recèle quelques surprises,

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    • Sur votre premier point : peut-être, en effet. Un raisonnement de matheux, point de vue rhétorique, c’est pas toujours très efficace…
      Des surprises, oui, peut-être. Drôle de débat, où la question principale est de savoir quelles questions l’on s’autorise à se poser.

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  4. Je ne connais pas Bézier mais je suppose que la ville comporte des « banlieues », dont les habitants ne votent pas pour le maire de Bézier parce-que ce n’est pas leur commune, mais dont les enfants sont scolarisés à Bézier.
    Je pourrai rajouter des propensions à voter différentes, un bon tas d’algériens qui ne veulent pas entendre parler de la nationalité française parce-qu’ils n’ont pas demandé à venir en France (c’est le FLN qui les a chassé) .. etc..
    Bref plein de raisons qui font que Mènard soit maire et que son chiffre puisse être correct à la louche.

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  5. De mémoire, je crois que 25% des enfants naissent de parents étrangers en France et 40% en Ile de France. Ce même 40% n’étant qu’un chiffre moyen permettant à des ghettos genre Mantes la Jolie d’exister et qui à eut à mon souvenir un maire très à droite et pas très tendre avec les étrangers.

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