Depuis quelque temps, ma fille de quatre ans a décidé de quantifier son amour filial en le spatialisant. Au classique « je t’aime gros comme ça » qui use de volume, elle a préféré un « je t’aime jusque là », qui se réfère à une distance. Premier avantage : cela se prête bien à la surenchère et à l’apprentissage de rudiments de géographie. (Oui, l’Italie, c’est loin. L’Inde et le Canada encore plus, mais moins que l’Australie.)Deuxième avantage : une fois la surenchère mise en place, qui la conduit désormais à mentionner systématiquement des longueurs qui valent plusieurs milliers de kilomètres, elle peut jouer au jeu inverse de la « sous-enchère » : un papa qui, ce matin encore, était aimé jusqu’au pôle Nord fait logiquement les faux gros yeux lorsque sa fille décrète ne plus l’aimer que jusqu’au coin de la rue, jusque dans la cage d’escalier voire jusque dans la pièce à côté.
L’autre jour, ma fille m’a alors demandé jusqu’où, moi, je l’aimais. J’ai réfléchi un instant avant de répondre : « Je t’aime à l’infini ! » Elle s’est soudain redressée (m’enfonçant encore un peu plus ses genoux dans les cuisses) pour demander : « c’est quoi, l’infini ? » Elle n’a jamais entendu parler de Cantor, mais elle n’en a pas moins tout de suite saisi, donc, que l’infini n’est pas un simple pays lointain (elle n’a pas demandé où était l’infini). J’ai bredouillé quelque chose d’inconsistant, comme « l’infini, c’est plus loin que tout » — c’est fou à quel point les mathématiques ne servent à rien dans ce genre de situation.
Plus loin que tout… les yeux en face de moi ont brillé un peu plus. Bien joué, Papa.
Joli !
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