Voilà au moins un passage du Rapport sur le climat en France au XXIe siècle sur lequel je suis d’accord : le passage où il est dit : « nous nous appuyons sur l’expertise du GIEC ». Ledit Rapport s’appuie en effet sur deux pratiques classiques du GIEC, qui consistent à présenter un résumé 1) qui insiste sur ce qui fait peur et 2) qui glisse sous le tapis les vrais problèmes.
Les auteurs sont apparemment aussi fiers de leur résumé qu’ils le sont de leurs Mignons Petits Hexagones, puisqu’ils ont choisi de le faire figurer deux fois dans le rapport. La première fois en pages 3 à 5, la seconde en pages 41 et 42 (pour la métropole) et en page 47 (pour l’outre-mer). Ce sont vraiment les mêmes textes, à un rien près. Voilà qui est assez représentatif d’un rapport dont une caractéristique générale est de considérablement tirer à la ligne.
Le premier item du résumé, sur le températures métropolitaines à l’« horizon proche » (2021-2050), donne le ton :
Une hausse des températures moyennes, comprise entre 0,6 °C et 1,3 °C [0,3 °C/ 2 °C]1, toutes saisons confondues, par rapport à la moyenne de référence calculée sur la période 1976-2005, selon les scénarios et les modèles. Cette hausse devrait être plus importante dans le Sud-Est de la France en été, avec des écarts à la référence pouvant atteindre 1,5 °C à 2 °C.
Sans doute l’un des auteurs doit-il vivre dans le Sud-Est de la France pour estimer que ce cas particulier mérite d’être mentionné dans le résumé. Mais en réalité, ce n’est pas sûr, car la totalité (sauf un) des items use du même procédé à chaque fois que c’est possible : des chiffres généraux sont donnés, auxquels fait suite une phrase finale détaillant le cas extrême le plus inquiétant. Florilège non exhaustif :
- Une augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été, comprise entre 0 et 5 jours sur l’ensemble du territoire, voire de 5 à 10 jours dans des régions du quart Sud-Est.
- La diminution des extrêmes froids se poursuit en fin de siècle. Elle est comprise entre 6 et 10 jours de moins que la référence dans le Nord-Est de la France. Cette diminution devrait être plus limitée sur l’ extrême Sud du pays.
Les deux modèles climatiques régionaux Aladin-Climat et WRF simulent de faibles changements des pourcentages de précipitations extrêmes. Cependant, ces modèles se situent dans la fourchette basse de l’ensemble multi-modèle européen.
Une augmentation des épisodes de sécheresse dans une large partie Sud du pays, mais pouvant s’étendre à l’ensemble du pays pour l’un des deux modèles.
Observons plus précisément l’item qui a été au cœur de la campagne médiatique qui a accompagné le rapport. Il s’agit de celui prophétisant la température métropolitaine à l’horizon 2071-2100 :
• Une forte hausse des températures moyennes. Pour le scénario RCP2.6, elle est de 0,9 °C [0,4 °C/1,4 °C] en hiver, et de 1,3 °C [0,6 °C/2 °C] en été. Pour le scénario RCP8.5, elle est comprise entre 3,4 °C et 3,6 °C [1,9 °C/3,4 °C] en hiver, et entre 2,6 °C et 5,3 °C [3,2 °C/5,1 °C] en été. Cette hausse devrait être particulièrement marquée en allant vers le Sud-Est du pays, et pourrait largement dépasser les 5 °C en été par rapport à la moyenne de référence.
Étant donné qu’il s’agit là du point le plus sensible du rapport, on aurait pu s’attendre à ce qu’il soit synthétisé de façon claire. Étrangement, c’est au contraire le point le plus embrouillé de tout le résumé (ex æquo avec un autre dont il sera question plus loin), celui qui semble avoir un malin plaisir à noyer le lecteur sous des chiffres rendant la phrase la plus illisible possible. (Pourtant, c’est prouvé page 17 : les auteurs savent faire un tableau sous Word.) Je suis prêt à parier que la plupart des lecteurs du rapport n’ont lu que la première et la dernière phrase de cet item. Ou alors, ils ont dû être un peu étonnés de voir que la phrase initiale, « Une forte hausse des températures moyennes » contredit les données de la phrase immédiatement suivante, qui indique que dans le scénario à faibles émissions, RCP2.6, la hausse est de l’ordre de 1°, ce qui n’a rien d’une « forte hausse » (c’est en tout cas une hausse largement au-dessous de la Terrible Limite de 2° qu’il faudrait ne pas dépasser à l’échelle globale). Cet item du résumé est d’autant plus illisible que, à ce stade du rapport, le lecteur n’est pas encore censé savoir ce que recouvre le vocable RCP2.6 et RCP8.5 (qui n’est expliqué qu’en page 11). Le lecteur ignorera encore, en lisant ce passage, que le fait que RCP2.6 ait droit à des exactitudes (« elle est de 0,9° »…) et RCP8.5 à des intervalles (« elle est comprise entre… ») tient au fait que RCP2.6 n’est traité que par l’un des deux modèles-cocoricos. On ne peut pas tout dire… et d’ailleurs le scénario RCP4.5, pourtant traité par les deux Cocoricos, n’est lui pas évoqué. (Pourquoi ? Mystère.)
Les climatologues aiment à reconnaître qu’ils ne savent pas tout, et à montrer combien ils savent se montrer très prudents. La preuve : il y a même un item qui contient le mot « incertitude ». Il s’agit de celui des précipitations en métropole pour la période 2021-2050, qui dit ceci :
Une légère hausse des précipitations moyennes, en été comme en hiver, comprise entre 0 et 0,42 [-0,49/+0,41] mm/jour en moyenne sur la France, avec une forte incertitude sur la distribution géographique de ce changement.
Notez combien cet item est plus clair que celui des températures. Sauf que plus clair, en l’occurrence, cela signifie aussi beaucoup plus trompeur. En effet, les valeur 0 et 0,42 correspondent aux valeurs extrêmes des deux modèles confondus, des deux saisons confondues (été, hiver) mais aussi des trois scénarios confondus. Même chose pour les valeurs entre crochets (qui correspondent en principe aux 25e et 75e centiles de l’ensemble multi-modèle européen). Un tel amalgame rend impossible au lecteur du résumé de se douter que, pour les étés, les deux modèles-cocorico prévoient une évolution des précipitations qui est à peu près le contraire de celle des modèles européens. Ce point-là n’a pas été retenu comme facteur d' »incertitude » dans l’item.
Les précipitations à l’horizon 2071-2100 sont l’autre item illisible du résumé :
Une hausse des précipitations hivernales, de 0,1 à 0,85 [-0,19/+0,54] mm/jour selon les modèles et les scénarios (équivalent à un excédent de 9 à 76 mm en moyenne hivernale). Pour les scénarios RCP4.5 et RCP8.5, le modèle Aladin- Climat simule une diminution en été comprise entre -0,16 et -0,38 [-0,7/0] mm/jour en moyenne sur le territoire métropolitain (soit environ 15 à 35 mm de moins en moyenne estivale). Pour ces mêmes scénarios, le modèle WRF simule une augmentation des précipitations de 0,15 à 0,32 mm/jour. Pour le scénario RCP2.6, le modèle Aladin-Climat simule une légère augmentation des précipitations estivales de 0,05 [-0,31/+0,14] mm/jour.
Mélanger modèles et scénarios a pour effet de diluer combien les résultats des modèles divergent entre eux pour un même scénario. Or la réalité est si catastrophique que le mot « incertitude » n’aurait pas été de trop ici. Il suffit de voir les Mignons Petits Hexagones correspondants pour comprendre qu’il n’y a pas grand chose qui colle entre les modèles, qu’il s’agisse des deux Cocoricos ou de ce que suggèrent les centiles européens (en haut : scénario médian (RCP4.5) ; en bas : chauffe Marcel (RCP8.5)).
Ma conclusion est que le résumé du Rapport ne permet pas au lecteur de prendre la mesure des incertitudes et des limites des résultats présentés. La prudence affichée (« Les résultats présentés ne doivent pas être interprétés comme des prévisions climatiques exactes pour des points géographiques précis. Cette étude permet néanmoins de mettre en évidence des tendances… » p. 3) ressemble davantage à un vernis qu’à une reconnaissance réelle des divergences considérables entre modèles. De plus, l’insistance quasi-systématique sur les pires données possibles donnent à ce résumé un relief inutilement alarmiste.